Près de 385 000 nouveaux cas de cancers estimés en 2015 en France métropolitaine, soit plus de 1 000 chaque jour, et 149 500 décès ; des progrès notables dans la prise en charge et le taux de survie, mais combien d’inégalités dans l’accès au diagnostic, aux traitements les plus performants, aux essais cliniques, aux soins de support… ? La première des inégalités est sociale. Les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées sont plus touchées, en raison de plus grandes difficultés d’arrêt du tabagisme, responsable à lui seul de 30 % des décès par cancer – l’alcool est un autre facteur souvent cité. Mais aussi parce que leur suivi sanitaire, le recours au dépistage et à la prévention sont moins bien assurés.
Dans ses recommandations pour le troisième plan Cancer (2014-2019), le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue à la Pitié-Salpêtrière (Paris, AP-HP), avait fait de la réduction des inégalités sociales, géographiques et comportementales l’un des trois objectifs prioritaires. Certaines de ses propositions ont été retenues dans le plan actuel.
« Des points s’améliorent. Par exemple, le problème des dépassements d’honoraires pour les échographies parfois nécessaires après mammographies, dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein, est en passe d’être réglé. De même pour la prise en charge des reconstructions mammaires, qui était un sujet choquant », se réjouit-il. Le professeur Vernant loue aussi l’accès croissant au séquençage des tumeurs, grâce aux 28 plates-formes d’évaluation moléculaire développées par l’Institut du cancer après le deuxième plan Cancer, un système que « le monde entier nous envie », selon lui. « Mais, malgré l’important progrès que va représenter, dans le domaine des inégalités sociales, la mise en place d’un dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, certaines de ces inégalités persistent, pour ce qui concerne la prévention, l’accès au dépistage, le retard au diagnostic… », note l’hématologue.
Ces derniers mois, l’un des sujets qui fait couler le plus d’encre est celui du prix des médicaments innovants, en particulier les traitements ciblés, dont le coût peut se chiffrer en dizaines de milliers d’euros par patient et par an. Si au Royaume-Uni les autorités sanitaires ont décidé, fin 2015, de dérembourser onze molécules, au motif d’un ratio coût/efficacité insuffisant, en France, les médicaments anticancéreux restent pour l’instant accessibles à tous. L’un des objectifs du troisième plan Cancer est de « garantir un accès égalitaire à l’innovation et aux essais cliniques, en évitant que les conséquences économiques et sociales de la maladie n’aggravent les difficultés des personnes malades ».
Disparités géographiques des traitements
Au-delà du prix, des inégalités sont souvent rapportées par les patients en termes de reste à charge, indique une enquête réalisée en 2015 pour l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France. « On a une prise en charge à 100 % certes, mais pas sur les produits visant à atténuer les nombreux effets secondaires des traitements, comme la desquamation de la peau, sans parler des frais de psychologue, d’ostéopathie… » Des charges qui s’ajoutent à la mise à l’écart de la vie professionnelle qui suit souvent la maladie, et le manque à gagner financier.
La question de l’équité ne se pose pas seulement pour les médicaments. C’est en allant à l’étranger que certains ont eu accès à un séquençage du génome de leur tumeur qui leur a permis de recevoir le traitement ad hoc, et de transformer le pronostic de leur cancer, initialement jugé catastrophique. Dans ce domaine, l’accès à l’information, aux bons réseaux, peut être déterminant pour recevoir les meilleurs soins, y compris pour la chirurgie et la radiothérapie.
Ainsi, des spécialistes des cancers de l’ovaire regrettaient récemment dans ces colonnes (supplément « Science & médecine » du 27 avril) la proportion insuffisante de femmes prises en charge par des équipes aguerries à la chirurgie complète de cette tumeur. De telles interventions sont pourtant le facteur le plus important pour le pronostic de ces cancers redoutables : une chirurgie complète permet d’allonger la survie de plusieurs années, quand le gain des médicaments se chiffre en mois.
Le nombre de séances varie selon les équipements
Quant à la radiothérapie, 180 000 malades en bénéficient chaque année en France, mais tous n’ont pas accès aux innovations qui permettent un traitement plus ciblé des tumeurs, et une réduction des effets secondaires et des séquelles. C’est le cas notamment pour les patients atteints de métastases cérébrales, comme le montre notre enquête.
Par ailleurs, certains malades reçoivent un nombre inutilement élevé de séances. C’est par exemple le cas dans des cancers du sein, faute d’application des protocoles les plus récents, qui ont démontré l’équivalence d’efficacité et une meilleure tolérance de 13 séances au lieu de 25. « Pour la radiothérapie, la facturation à la séance, à laquelle conduit la tarification à l’activité (T2A), n’incite pas les établissements de santé à réaliser des irradiations comportant moins de séances un peu plus dosées alors que cette technique (l’hypofractionnement) donne, dans certaines indications, de très bons résultats et bénéficie aux malades, dont les transports en véhicules sanitaires sont ainsi limités », déplore le professeur Vernant. Une aberration qui pourrait bientôt toucher à sa fin. « Une commission ministérielle travaille à la substitution de la tarification à la séance par une tarification au parcours », note-t-il.
Chiffres
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