LE MONDE | | Par Caroline de Haas (Militante féministe, à l’initiative de la pétition « Loi travail, non merci »)
Par Caroline De Haas, militante féministe, à l’initiative de la pétition « Loi travail, non merci »
Alain Finkielkraut a assisté ce week-end à une assemblée générale de Nuit debout et s’est éloigné du rassemblement après un temps assez long. Il a alors été pris à partie et insulté par des individus. Breaking news. Sortons le bandeau spécial sur BFM-TV, le direct, le duplex et tout le tralala.
Alain Finkielkraut se fait enguirlander lorsqu’il marche dans la rue. Ça, c’est une info. Une vraie. Qui mérite, c’est clair, la réaction de non pas un mais de plusieurs membres du gouvernement. Cela mérite au moins un édito de type « Je suis choqué » dans Libération. Et les commentaires, tweets et autres petites phrases d’une foule d’éditorialistes, intellectuels et commentateurs qui choisissent des mots tout à fait adaptés pour décrire la situation : fascisme, pogroms, totalitarisme. Le point Godwin atteint en moins de 45 secondes. Un record.
Quatre ou cinq personnes ont donc insulté Alain Finkielkraut en marge d’une assemblée générale de Nuit debout. Est-ce bien d’insulter des gens ? Certainement pas. L’insulte est l’arme des faibles à court d’arguments. On pourrait d’ailleurs le rappeler au principal intéressé de cette aventure, qui se répand sur les plateaux télé pour déverser sa haine des autres, d’une France diverse et dans laquelle nous essayons, sans forcément y arriver d’ailleurs, de faire avancer l’égalité. Au passage, on notera que lorsqu’Alain Finkielkraut nous insulte dans les médias, il n’y a pas grand monde pour lui faire remarquer que cela ne se fait pas.
Hors des codes et des cases habituelles
Mais que se passe-t-il dans notre société pour que, lorsqu’un polémiste réactionnaire, vulgaire, aux relents xénophobes, se fait insulter dans la rue, nous traitions cela comme une information majeure et déterminante pour la vie politique et citoyenne française ? Peut-être n’y avait-il aucune autre information intéressante ce jour-là. Entre la destitution de Dilma Rousseff, la Syrie, les élections aux Etats-Unis, la situation en Grèce, les débats autour de 2017 en France, les chiffres du chômage, on aurait pourtant eu une foule de choses intéressantes à raconter.
Ce n’est donc pas cela qui explique l’emballement. Alors je formule une hypothèse. Peut-être qu’au final, cette histoire arrange beaucoup de monde. En tout cas, toutes celles et ceux qui, depuis trois semaines, regardent d’un œil inquiet les rassemblements Nuit debout et n’attendaient que ça. Ils et elles ont – enfin ! – trouvé l’occasion de dire tout le mal qu’ils pensaient de Nuit debout. L’histoire n’est pas vraiment celle qu’ils racontent ? Ce n’est pas grave. Alain Finkielkraut n’a pas été viré de l’AG de Nuit debout sous les huées ? Peu importe.
Parce qu’au fond, je ne suis pas certaine que quelqu’un en ait quelque chose à cirer que Finkielkraut échange des noms d’oiseaux avec quatre ou cinq individus sur la place de la République. Par contre, que cela permette de remettre à leur place tous ces idéalistes qui veulent transformer ce monde, ça, c’est intéressant.
Nuit debout est insaisissable, dérange, interpelle, sort des codes et des cases habituelles. Et nous n’aimons pas ça. Ce mouvement, qui n’aimerait sans doute pas être qualifié comme cela, nous met le nez dans nos propres contradictions, nos difficultés, notre incapacité collective à construire une alternative au monde qu’on nous impose aujourd’hui.
Le patron des socialistes lui-même et une ministre
Je suis passée plusieurs fois à Nuit debout. J’ai rencontré de l’envie de faire, de comprendre, de se saisir ensemble de nos vies et de notre avenir. A titre personnel, j’y ai rencontré de la bienveillance, beaucoup. De temps en temps, de la méfiance. Parfois, aussi, des désaccords. Le patron des socialistes lui-même et une ministre ont tous deux raconté leur déambulation place de la République, sans que personne ne les ait invectivés. Les responsables des principales forces politiques de gauche sont venus saluer Nuit debout et n’ont rencontré que des sourires, parfois distants, des questions et, au pire, du désintérêt. Jamais de haine ou d’invective.
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Finkielkraut, en spécialiste de la provocation et de l’invective, a voulu faire un coup. Et tout le monde s’est engouffré dans la brèche. On peut l’applaudir. La machine a marché à plein régime. Provocation du « philo-réacosophe », montée en mayonnaise immédiate des médias, occupation de l’espace pendant trois jours pour raconter à quel point tous ces jeunes gens sont très méchants et irresponsables.
Le plus triste ? C’est que si par malheur ce petit monde réussit sa vaste entreprise de découragement, nous l’entendrons à nouveau se lamenter pendant une décennie de cette jeunesse qui ne s’engage pas, qui ne rêve plus, passe sont temps à jouer aux jeux vidéo et vote Front national.
En langage Twitter, on dirait : « #fatigue ». Ou alors : « #Onvautmieuxqueça ».
Caroline de Haas (Militante féministe, à l’initiative de la pétition « Loi travail, non merci »)
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