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vendredi 23 octobre 2015

Éthique L'opération mains propres sur la santé embraye sur un débat démocratique mais sans les laboratoires

 - HOSPIMEDIA
La voix des laboratoires manquait cruellement lors du colloque sur la politique du médicament organisé à l'Assemblée nationale sur les conflits d'intérêts, la surprescription et la surfacturation. Se basant sur le diagnostic d'une emprise des industriels, les intervenants ont fait émergé des pistes de solutions.
Colloque à charge ou colloque démocratique ? Organisé ce 22 octobre à l'Assemblée nationale par les parlementaires français et européen Jean-Louis Roumégas (écologiste, Hérault) et Michèle Rivasi (Les Verts/Alliance libre européenne), l'événement placé sous le titre "Désintoxiquons notre santé de l'emprise des lobbys - Pour une autre politique du médicament en France et en Europe" s'est voulu libre de parole pour les intervenants, qu'ils soient associatifs, élus, professionnels de santé, magistrats ou usagers. Une voix était pourtant absente, celle des laboratoires, le syndicat des industries pharmaceutiques (Leem) ayant décliné l'invitation. Il a même adressé un courrier le 13 octobre dernier au président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour exprimer son "étonnement" quant à la tenue d'une telle manifestation dans l'enceinte du Parlement. "La liberté d'expression est un fondement de la démocratie et chacun doit pouvoir rester libre de ses idées et de ses opinions", y a écrit Patrick Errard, président du Leem. Toutefois, poursuit-il, "le rapport de déontologie de l'Assemblée nationale en date du 17 juin […] mentionne clairement le fait que les députés parrainant un colloque doivent être vigilants afin d'éviter les confusions possibles avec le travail parlementaire de l'institution". Or il estime que "cette règle n'a manifestement pas été respectée". Ce colloque qui, selon le Leem, "porte préjudice à la réputation des entreprises" du médicament, se veut enfin "particulièrement insultant dans son intitulé et la composition non équilibrée du plateau d'intervenants". D'où ce boycott par les industriels.

Une société désormais assurantielle

Malgré cette "tentative d'entrave" au débat démocratique, a pour sa part introduit Michèle Rivasi, les discussions ont bien eu lieu afin d'envisager des solutions pour sortir des conflits d'intérêts, de la surprescription et de la surfacturation du médicament en France. Une première table ronde a ainsi établi le constat d'une emprise de l'industrie pharmaceutique sur notre santé. Les entreprises "font la loi" en matière de santé, a souligné Jean-Louis Roumégas. "Ils sont partout", a renchéri Michèle Rivasi. Philippe Even, professeur de médecine, ex-président de l'Institut Necker à Paris, a par ailleurs déploré la présence en France d'une cinquantaine de leaders d'opinion, sous contrat avec les industriels en toute illégalité, pour véhiculer leur "bonne parole". Olivier Saint-Jean, professeur et chef du service de gériatrie à l'hôpital Pompidou à Paris, a pointé le foisonnement de médicaments inutiles voire dangereux, sous l'angle de la maladie d'Alzheimer. Quant à Thierry Bodin, syndicaliste CGT de Sanofi, il a regretté que "l'entreprise sacrifie son potentiel de recherche sur les rangs de la rentabilité", orientant de fait ses travaux en fonction du marché. Enfin Marie-Odile Bertella-Geffroy, ex-magistrate responsable du pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée sur les questions de santé, a déploré "une société désormais assurantielle (basée sur l'indemnisation, NDLR) en lieu et place d'une société de responsabilité" et a pointé la piste du "bien commun" comme brèche possible pour une évolution de la loi.

Agence de contrôle, licence d'office, formation à l'esprit critique...

Sur la base de ce diagnostic qui a aussi fait apparaître la souffrance des malades, des solutions* ont ensuite été suggérées. Une agence de contrôle indépendante pour évaluer les conflits d'intérêts a été plusieurs fois mentionnée, ou des variantes sous la forme d'un pôle public du médicament et d'un contrôle démocratique voire d'un renforcement des agences sanitaires nationales. Certains ont appelé à la sanction en matière de pharmacovigilance, système particulièrement pointé du doigt. Irène Frachon, lanceur d'alerte du Mediator, a soutenu la voie de la formation des professionnels de santé, notamment à l'esprit critique dès la formation initiale, mais aussi dans la formation continue pour l'exempter de toute ingérence de l'industrie. Olivier Maguet, membre du conseil d'administration de Médecins du Monde, a mis en exergue la licence d'office dans l'intérêt de la santé. Une possibilité offerte par le Code de la propriété industrielle selon laquelle si un intérêt de santé publique le justifie, le ministre en charge de la santé peut mettre sous licence accordée par l'État l'exploitation de brevets. Une option refusée par le Gouvernement dans le cas du Solvaldi, a-t-il appuyé. C'est pourquoi Olivier Maguet se veut "pessimiste dans la capacité des politiques à faire bouger les lignes". D'après lui, il faut alors travailler sur l'opinion publique. C'est d'ailleurs la conclusion à retenir de cette matinée.
Pia Hémery 
* Chacune des solutions évoquées dans ce débat pour faire émerger une autre politique du médicament est détaillée dans l'ouvrage intitulé "Le racket des laboratoires pharmaceutiques et comment en sortir", édité ce 22 octobre aux éditions Les petits matins. Les auteurs sont Michèle Rivasi, Serge Rader et Marie-Odile Bertella-Geffroy.
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