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samedi 14 mars 2015

« The Voices » : Ken et Barbie en version schizophrène

Le Monde.fr |  | Par 

Ryan Reynolds incarne Jerry dans le film américain et allemand de Marjane Satrapi, "The Voices".




L’avis du « Monde » : pourquoi pas


« Le seul moyen de supporter l’insupportable, c’est d’en rire », observait Marjane, avatar de l’auteure et cinéaste Marjane Satrapi, dans la bande dessinée autobiographique qui l’avait révélée au grand public, Persépolis. Adapté pour le cinéma par Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Persépolis restituait en traits minimalistes et grinçants l’enfance de Marjane à Téhéran pendant la révolution islamique, et son passage compliqué à l’âge adulte. En noir et blanc, avec beaucoup moins de blanc que de noir, c’était un portrait à charge de l’Iran contemporain que l’on voyait se dessiner sur le parcours de l’héroïne : provocateur, parfois très drôle, mais presque toujours de cet humour qui fait aussi mal.

Quatrième long-métrage de Marjane Satrapi, The Voices est aussi loin de Persépolis et de l’Iran qu’on pourrait l’imaginer. Avec La Bande des Jotas, son précédent film, la réalisatrice avait déjà rompu une première fois avec cet univers, mais cette rupture s’était faite dans la discrétion, avec des moyens très modestes, pour une diffusion en salles plus modeste encore. Pour The Voices, c’est tout l’inverse : on devine un budget moins restreint, les têtes d’affiche sont familières (Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick), les couleurs dominantes sont le rose, couleur des « bleus » de travail de l’entreprise du héros, et le rouge sang, car il s’agit à nouveau, et c’est sans doute son seul point commun avec La Bande des Jotas, d’une histoire de meurtres.


De la comédie romantique au film d’horreur


A Milton, petite ville américaine toute propre et plus dépourvue d’âme qu’une maison de Barbie, Jerry (Ryan Reynolds) mène sa petite vie propre et dépourvue d’âme dans une entreprise qui fabrique des baignoires. Il s’amourache de la jolie comptable Fiona (Gemma Arterton), traverse parfaitement sa solitude domestique en compagnie de son chien Bosco et de son chat Monsieur Moustache. Mais Jerry est schizophrène… Qu’il oublie une seule fois de prendre son traitement, et voilà le monde rose taché de rouge, l’angoisse revenue, et plus personne auprès de qui prendre conseil sinon ce brave Bosco et ce cynique Monsieur Moustache.

A la croisée des genres, The Voices trimballe Ken et Barbie d’une baignoire neuve à un mur de tupperwares pleins de femmes en morceaux, et son spectateur de la comédie romantique semi-parodique au film d’horreur, de ceux qui s’offrent volontiers au rire : jouant avec les abominations suggérées du hors-champ, Marjane Satrapi ne cède jamais à la tentation du gore, et l’« insupportable » ainsi suggéré reste le plus souvent dans les limites du supportable.


La caricature sociale à l’état de décor


Le rire qu’elle prétend en faire naître n’a évidemment pas le même sens, ni la même force, que celui que Persépolis, bande dessinée ou film, brandissait comme un étendard au-dessus d’un champ de bataille à peine fictionnel. Le rire de The Voices n’existe presque que pour lui-même : restreinte à quelques seconds rôles volontairement outrés et une fête entre collègues assez navrante, la caricature sociale ne s’y trouve qu’à l’état de décor.

Tout tient, finalement, à ce personnage principal de Jerry, dans la peau duquel l’acteur Ryan Reynolds, plus raide que Ken prisonnier de son emballage plastique, livre une performance étonnante. Tout en surface, mais tout en détresse, son Jerry promène sur les chemins de la schizophrénie une vacuité sidérante, poussée si loin qu’elle touche presque à la profondeur. L’acteur s’amuse beaucoup, le film s’orchestre autour de lui poliment, proprement, emballage efficace de Ken ou de baignoire, c’est tout un finalement. S’amuserait-on pourtant à ouvrir l’emballage, qu’il aurait l’effet d’une boîte de Pandore. Il n’y a pas une âme dans The Voices, à moins que les animaux n’en aient une, mais on reste cependant, entre deux sourires un peu jaunes, tenté de soupçonner un grand sérieux dans la vieille bataille entre Bien et Mal qui s’y rejoue. Heureusement, peut-être, qu’il n’y a pour cette fois qu’à en rire. Sans cela, le spectacle coloré du sang projeté sur le vide serait tout bonnement insupportable.


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