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jeudi 12 mars 2015

Apartheid urbain : repenser la ville dans sa globalité

Le Monde.fr | Par 

Si l’on peut s’interroger sur les résultats des politiques urbaines, menées depuis quatre décennies, la situation serait certainement pire sans elles.

Manuel Valls et le ministre de la ville, Patrick Kanner, n’ont pas tort : l’apartheid urbain, social, économique, ethnique, ronge la ville française, et partant la nation tout entière. Et ils ont raison de rappeler que, si l’on peut s’interroger sur les résultats des politiques urbaines, menées depuis quatre décennies, la situation serait certainement pire sans elles. La constatation n’enlève rien à une analyse critique de l’action publique sur la ville.

Une première ligne de force est faite de réserve contre les idées reçues et aujourd’hui banalisées.
Puisque la mixité devient une incantation, il faut clarifier les idées. Quand on parle de mixité, on mélange plusieurs choses : mixité des couches sociales résidentielles et mixité fonctionnelle des activités et de l’habitat, confusion aussi des échelles, de l’immeuble, du quartier, de la ville.

Les processus eux-mêmes sont plus importants que les résultats. Si l’on ne peut que se féliciter que la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) de l’an 2000, fixant un seuil de 20% de logements sociaux dans les communes importantes, soit enfin appliquée, la société mélangée, où la diversité crée la richesse, reste un mythe, si les processus de promotion individuelle et collective ne sont plus assurés. La mixité est un aboutissement, pas un moyen de progrès.


Pour une priorité aux défis négligés : l’emploi, l’accessibilité, l’école


Si certaines notions doivent d’être démythifiées, d’autres, plus fondamentales, doivent être revalorisées. Il en est ainsi de l’emploi. Il aura été finalement le parent pauvre des politiques urbaines du dernier demi-siècle, d’abord en début de période, parce qu’il était abondant, et à partir des années quatre-vingt, parce qu’on s’est mépris sur la signification des évolutions économiques.


Pour les salariés en difficulté, ce n’est ni la proximité, pourtant essentielle, ni même l’accessibilité des activités, qui apparaissent fondamentales, mais leur diversité. Il y a toute une réflexion et une action à mener pour inventer une « nouvelle économie » de la production et des services pour donner du travail et des revenus réguliers au plus grand nombre.

Une autre voie à revisiter est celle des transports et de la mobilité. Il faut cesser d’en faire un tiroir obligé des politiques urbaines qu’on referme une fois le problème abordé, sinon traité. Plus que jamais, l’évidence s’impose d’une stratégie urbaine globale, où la mobilité dépasse la simple logique fonctionnelle du déplacement, pour devenir une arme essentielle pour la création de foncier valorisable pour le logement et l’emploi. Bien comprise, elle est l’arme d’une ville plus équitable, plus performante et plus durable.

Enfin, l’école et l’éducation sont longtemps apparues les grands absents de la politique de la ville. Faut-il pourtant rappeler que la dégradation du système éducatif dans son ensemble fut simultanée de la montée des périls. Le retard et l’échec scolaires, le sentiment ou la réalité d’un enseignement public à deux vitesses, la perte de prestige et de l’efficacité sociale des diplômes selon le milieu d’origine, ne sont pas sans rapport avec l’affaiblissement des forces d’inclusion et d’intégration nationales, les capacités d’insertion économique et même la baisse de la conscience civique.

Ce ne sont pas des annonces-gadgets (« former 10 000 élèves au numérique », «l’interdisciplinarité»), ou même quelques rallonges budgétaires pour les « zones d’éducation prioritaire renforcées », qui y pourvoiront. L’école mérite un effort de la nation de longue haleine, pour repenser et reconstruire les bases d’une société plus juste et plus unie.


Pour une nouvelle politique de la ville


L’ensemble de ces réflexions débouche sur la nécessité d’une nouvelle définition de la politique urbaine. La première « ardente obligation » est de revenir à une perception globale des problèmes et de la stratégie de l’urbanisme. Il n’y a pas des questions du logement, de l’emploi, des transports, de l’environnement, de la banlieue et du centre-ville.
Il faut un projet unique : la ville. L’« unité de commandement » dans la ville appartient à l’ordre axiomatique de l’organisation d’une société démocratique, qui place au centre de sa constitution le pouvoir politique, quand la pénurie d’habitat se double d’une crise sociale et morale, plus encore que financière.

Une deuxième mise en garde réside moins dans les formes urbaines, que sur la configuration matérielle et spatiale de la ville que l’on veut promouvoir. Le débat est constant sur une cité-modèle à construire ailleurs, ou sur la ville réelle à retisser sur elle-même. De la même façon, on ne peut prôner une « ville ouverte », et contribuer à la fermer sur elle-même dans de nouvelles résidences, parfois construites avec l’aide publique, ou dans des équipements officiels à l’accès explicitement limité.

L’histoire urbaine ne donne pas de leçons, tout juste fournit des précédents. Le courage et la détermination surmontent les obstacles plus sûrement encore que la technique et l’argent. Le milliard d’euros d’investissements annoncé sur trois ans est notoirement insuffisant par rapport aux défis présentés. Mais dans la vue brouillée de l’avenir, la perspective politique cohérente garde sa force plus encore que la prospective urbaine toujours illisible, ou la promesse financière, toujours rognée par l’exigence des équilibres budgétaires.

La politique, c’est aussi l’art de choisir rapidement et d’assumer dans la durée le dessein arrêté. Ici, comme ailleurs, le premier ministre devrait pourtant en être convaincu.

Guy Burgel est coauteur, avec Jacques Jullien, de « Grands ensembles : une histoire d’avenir », paru dans « Pour mémoire », n°14, édité par le ministère de l’écologie, 2014.

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