Par Laetitia Clavreul
Qui doit décider de la fin de vie des malades incapables d’exprimer leur volonté et qui n’ont pas laissé une trace écrite de leur désir ou non de continuer à vivre ? Quand se pose la question de l’acharnement thérapeutique, et donc de l’arrêt des traitements, c’est jusque-là le médecin du patient qui a le dernier mot. Le comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui présentait jeudi 23 octobre sa synthèse de deux ans de débat public en France en vue d’améliorer la loi, en a profité pour appeler à la réflexion sur le sujet.
C’est l’affaire Vincent Lambert qui oblige, aujourd’hui, à aller au-delà des traditionnelles questions sur la fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté, pour lesquels le CCNE constate qu’il n’y a pas consensus en France, ou encore celle de la sédation en phase terminale (qui permet de dormir jusqu’à ce que la mort advienne), dont la demande est « partagée » par les Français. En 2013, l’histoire de ce jeune homme en état végétatif avait frappé les esprits. Ses parents avaient obtenu du tribunal administratif la reprise de son alimentation et de son hydratation, interrompues sur décision des médecins, avec l’accord de son épouse seulement. Ils ont été consultés par la suite, mais ont aussi contesté la nouvelle décision d’arrêt des traitements. C’est désormais la Cour européenne des droits de l’homme qui va trancher.
Que dit la loi dans un tel cas ? Elle indique que, pour une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, l’arrêt des traitements n’est possible qu’à condition d’avoir respecté une procédure collégiale de réflexion entre médecins, et d’avoir consulté la personne de confiance désignée par le patient, ou, s’il n’en a pas, sa famille, ou à défaut un de ses proches, seules personnes qui peuvent témoigner de la volonté antérieure du patient.
« LE MONDE MÉDICAL EST TRÈS CAMPÉ SUR CETTE POSTURE »
Le CCNE plaide pour une véritable « procédure de délibération et de décision collectives ». « Sans hiérarchie », a précisé son président, Jean Claude Ameisen, estimant que l’arrêt des traitements est un enjeu qui dépasse la seule décision médicale. « La question de la place du médecin se pose. Elle est certes réelle dans l’arrêt de traitement, mais elle est relative. Il existe d’autres déterminants, comme la volonté du patient », précise le Pr Régis Aubry, membre du CCNE.
Une délibération collective, c’est la règle en Allemagne. Si aucun accord n’émerge, la justice arbitre. Le CCNE ne l’estime pas souhaitable, et propose, pour aider à dégager un consensus, une médiation indépendante de toutes les parties prenantes. Une telle procédure pourrait s’appliquer aux patients en état végétatif, mais aussi à ceux en réanimation, où la procédure collégiale actuelle n’est pas toujours respectée, ou encore aux personnes, de plus en plus nombreuses, atteintes de maladies neurodégénératives.
Pas sûr que les médecins apprécient. « Au sein du CCNE, il n’y a pas eu dissensus sur cette position, mais je vois qu’à l’extérieur le monde médical est très campé sur cette posture du médecin qui décide », raconte le Pr Aubry, également chef du service de soins palliatifs du CHU de Besançon. Il avoue avoir lui-même, en tant que médecin, évolué sur ce point. Il n’y a pas de divergence médecin-non médecin sur cette question au sein du comité, confirme la philosophe Cynthia Fleury, membre elle aussi : « Le clivage n’est pas nécessairement celui-là, d’autres questions ont surgi : jusqu’où inclut-on dans la collégialité ? Qui sont les proches ? La volonté conjugale doit-elle l’emporter sur celle des parents ? »
« RISQUE DE LA DILUTION DE RESPONSABILITÉ »
En dehors du CCNE, il y a bien débat, et opposition même. Patrick Bouet, le président de l’ordre des médecins, estime ainsi que l’arrêt des traitements est une « décision par nature médicale ». S’il juge indispensable que la volonté du patient soit respectée, et évident qu’un médecin ne peut décider seul, il ajoute : « Dans le contrat avec le patient, il y a la vie de celui-ci. L’arrêt des traitements, la sédation du patient, c’est de la nature même de ce contrat. On ne peut enlever aux médecins ce qui est de leur responsabilité fondamentale. »
La responsabilité, c’est aussi ce qu’invoque Vincent Morel, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. « Un processus de délibération collective, ce n’est pas souhaitable. Nous sommes d’accord pour que la procédure collégiale soit élargie aux personnes de confiance, à la famille, mais la décision elle-même doit rester médicale, parce que le médecin engage sa responsabilité en l’assumant, et en la mettant en œuvre », dit-il.Il rappelle qu’il n’est pas toujours possible de réussir à déterminer la volonté du patient, et que des familles peuvent préférer rester en dehors de la décision.
Le député Alain Claeys (PS), nommé par Manuel Valls avec Jean Leonetti (UMP) pour mener une mission parlementaire et préparer une future loi – présentée en mars 2015 à l’Assemblée, a promis François Hollande le 21 octobre – soulève une autre question. Une décision véritablement collégiale pourrait faire courir « le risque de la dilution de responsabilité » et « être un élément de retard de la prise de décision » d’accompagnement vers la mort.
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