Anne, la cinquantaine, a un cancer des ovaires. Et elle l’a depuis près de quatorze ans. Anne, très vite, n’a plus de cheveux, porte un joli turban bleu. Et elle ne quitte pas son joli sourire. «Il faut que cela tombe sur moi, moi qui ne suis pas combattante du tout.» Elle se confie à la caméra de son amie Anne Kunvari, réalisatrice. Elle est vivante, se pose ouvertement les questions de la suite, de la fin, de la mort. «Aller en Suisse ? J’y pense, il faudrait que j’aille les voir, j’aimerais voir un peu leur tête là-bas, en Suisse», dit-elle en évoquant cette association qui, légalement, aide au suicide assisté. «Soit j’y vais toute seule et c’est un peu tristouille, soit j’y vais avec quelqu’un mais personne n’a envie de m’accompagner.»
Au départ, la réalisatrice Anne Kunvari ne voulait pas faire un film sur la fin de vie, mais sur la chronicité du cancer. «Anne voulait réfléchir sur cette question pour mieux la vivre, explique la documentariste. C’est la vie et la mort d’Anne qui ont imposé ce film.» Sa voix off murmure :«Aujourd’hui, je suis seule avec ces images tournées ensemble. On avait décidé en mars de le faire, et tu es morte en juillet.» Le film s’intitule le Moment et la manière (1).
«Si j’apprenais que cela merdait, que c’est plus la peine, je veux me préparer pour ne plus y penser, confie Anne. Ce qui me rassure, c’est que je vais décider d’arrêter de vivre. Le suicide ? Je ne peux pas. Ce que je veux, c’est choisir le moment et la manière. Je ne veux pas, je crois, je ne veux pas d’une mort qui dure un ou deux mois, je déteste ça, je pense que cela ne me plairait pas du tout. Autrement, j’ai peur d’être piégée.» Anne parle avec justesse de sa situation, revient sur ces années où son cancer était sous contrôle. Et note, avec un brin d’ironie : «Les médecins sont contents parce que c’est stable, pas moi. Si tu as un traitement qui te met dans un tel état, ce n’est pas une vie.»
Voilà, elle le dit simplement, elle voudrait, quand c’est trop, avoir son mot à dire. Elle a rempli des directives anticipées, elle a choisi une personne de confiance. On se dit que cela va être possible, que si tout empire, elle pourra mourir en ayant choisi comme elle le redit «le moment et la manière». Mais c’est l’inverse qui se passe. Ou plutôt, ça se passe comme cela se passe souvent. «Tout va très vite, tu me dis : "Ma vie n’a plus de sens", raconte son amie. Tout va trop vite, on n’a pas eu le temps d’aller en Suisse.» Faute de place à l’hôpital, Anne est dans une maison de convalescence avec des tuyaux partout. Elle a perdu son regard, la voilà lourde de peines et de fatigues, elle murmure qu’à l’hôpital, on pourrait lui donner une sédation. «Une sédation, mais je ne sais pas trop, cela dure quatre ou cinq jours et on meurt.» Le lendemain, Anne est dans le coma, puis décède. «Tu n’as pu choisir ni le moment ni la manière», dit la voix off.
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