TRIBUNE
Le discours, qui accompagne la proposition de Facebook et Apple «d’offrir» à leurs salariées les frais de congélation de leurs ovocytes, se veut féministe alors que c’est tout l’inverse : il s’agit, selon ces entreprises, de lutter contre la discrimination dont les salariées sont victimes en leur offrant la possibilité de reporter une éventuelle grossesse. Plus besoin d’opposer ainsi carrière et enfants : grâce à ce «cadeau», les femmes, autour de la trentaine, pourront se consacrer totalement à leur carrière, sans se préoccuper de leur horloge biologique et de la baisse de fertilité après 35-40 ans.
On sait, en effet, que c’est entre 30-40 ans que se jouent à la fois les choix de carrière et celui d’éventuelles maternités. Tous les travaux montrent que c’est à ce moment-là que les femmes subissent un retard de carrière, du fait d’un «soupçon de maternité» - avéré ou pas, d’ailleurs. En réalité, ces entreprises, qui souhaitent ainsi féminiser leurs équipes (seulement un tiers de femmes pour l’instant dans leurs équipes), font exactement l’inverse de ce que l’on qualifie d’une politique «family friendly» (terme justement américain !). Pas question de favoriser l’articulation entre travail et famille, tout au contraire, ces entreprises opposent l’un à l’autre, comme au bon vieux temps, mais avec des habits pseudo-modernistes, et incitent les femmes à choisir entre carrière et maternité.
Au lieu de penser autrement la carrière, ces entreprises suggèrent de déplacer le calendrier des naissances. Elles ne posent pas la question du risque biologique, éthique et démographique d’un tel report. C’est encore une fois aux femmes de s’adapter aux besoins de l’entreprise et non l’inverse.
A aucun moment, elles ne suggèrent de remettre en cause les processus RH de gestion de carrière, justement en prenant en compte ces fameuses années stratégiques pour les femmes : par exemple, permettre à des salarié-e-s plus jeunes de démarrer leur carrière, notamment à l’expatriation, avant l’âge d’une maternité (certains grands groupes, comme Total, ont adopté ce type de politiques).
A aucun moment, ces entreprises ne souhaitent favoriser pour tous et toutes une véritable articulation entre carrière et enfants : l’argent ainsi offert à la congélation pourrait servir autrement à soutenir le développement de modes d’accueil, en offrant des congés ou des aménagements d’horaires pour les deux parents ou en développant justement des mesures en faveur des pères, pour éviter les discriminations à l’égard des femmes.
Leur message est clair : celles qui oseront à l’avenir tenter une grossesse entre 30-40 ans seront disqualifiées. Et puis, que se passera-t-il, après 40 ans, pour ces femmes qui accepteraient ce cadeau, si elles souhaitent décongeler leurs ovocytes ? Quelles mesures seront alors prises pour leur permettre d’assumer leur rôle de parent ? Ne seront-elles pas incitées à quitter l’entreprise, au moment le plus fort de leur carrière ? On peut parier qu’elles feront alors le choix inverse et qu’elles risquent de renoncer une fois pour toutes à ce désir d’enfant.
Dernier ouvrage paru : «Un quart en moins. Des femmes se battent et obtiennent l’égalité des salaires», La Découverte, 2014.
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