INTERVIEW
Applis. Jean-François Thébaut, de la Haute Autorité de santé, réagit à la sortie de l’Apple Watch, bourrée de capteurs sur l’état du corps :
Après les sites, des applis de santé en veux-tu en voilà. De plus en plus en mode mobile, qu’on consulte via son téléphone ou une tablette, et désormais en regardant son bracelet-montre. La dernière trouvaille d’Apple présentée la semaine dernière n’est-elle qu’un simple gadget de plus ou l’entrée dans la santé connectée ?
Bourrée d’électronique, cette Apple Watch peut impressionner. Doté d’un capteur de rythme cardiaque placé au dos du boîtier et d’un accéléromètre, voilà un objet en mesure de collecter une kyrielle d’informations sur notre santé, pour alimenter l’application Health. Nombre de pas, temps passé assis, calories brûlées, pression artérielle, fréquence cardiaque, glycémie, etc. Des paquets d’informations enregistrées, mais pour faire quoi ? Jean-François Thébaut, cardiologue, est membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS), président de la commission amélioration des pratiques professionnelles et de la sécurité des patients. A ce titre, il a la charge d’évaluer les évolutions technologiques au regard de la santé publique.
La santé connectée, avec cette Apple Watch, est-ce bon pour la santé, docteur ?
Nous sommes rentrés dans quelque chose de très nouveau. Va s’ouvrir de plus en plus une prise en charge des patients par eux-mêmes. Et cela peut-être très positif si cela permet de modifier des comportements.
Lesquels ?
Prenons le cas de l’hypertension artérielle, nous avons des traitements très efficaces mais, pour autant, on n’arrive pas à des résultats collectifs satisfaisants. La raison ? Les patients ne prennent pas leur traitement. Moins de 30% des hypertendus sont bien équilibrés, et en général 50% des gens ne suivent pas de manière correcte leur traitement. C’est un échec de la médecine classique.
La seule façon d’améliorer cette prise de traitement passe par l’implication des patients, en les rendant autonomes sur le suivi. Et là, arrivent des outils efficaces, pour qu’ils se responsabilisent.
Quand vous avez une maladie comme le diabète ou de l’hypertension artérielle, le patient ne voit rien, cela reste pour lui asymptomatique. L’automesure par les patients eux-mêmes peut changer la donne. C’est pour cela qu’au-delà du caractère commercial de ces annonces, en termes de santé publique, les bénéfices individuels peuvent être importants.
Quelles sont les craintes ou les inquiétudes ?
Un certain flou. Il faut distinguer tout ce qui concerne le bien-être et ce qui concerne la santé. Quand vous portez un bracelet avec tous ces capteurs, pour quelqu’un qui n’a pas de risque particulier, comme un sportif qui veut se surveiller, tout va bien. Mais pour quelqu’un qui est à risque, comme un cardiaque, encore faut-il qu’il sache comprendre ce que toutes ces données lui disent. Se pose aussi la question de la source : qui émet ces informations, est-elle fiable ? Les données qui ont été retravaillées par des logiciels et qui sont ensuite délivrées au patient ne sont peut-être pas exactes. Prendre la fréquence cardiaque, pourquoi pas ? Mais si les calculs sont imprécis, voire faux ? Aujourd’hui, rien ne permet à l’usager d’en être assuré. Pour dire les choses simplement, il n’y a pas de norme CE.
Où en est-on de l’interconnexion des données, c’est-à-dire le risque de les voir utilisées par des sociétés commerciales ou d’assurance ?
C’est la crainte majeure. La nouveauté avec ce bracelet-montre Apple, c’est que tout est intégré : le logiciel, la montre et l’application. Les données sont aujourd’hui stockées sur des serveurs Apple, avec une charte assez rigoureuse et, a priori, il n’y a pas de partage de données, tout paraît bien verrouillé, avec une interdiction de les commercialiser. Mais on peut imaginer qu’une structure commerciale américaine s’en empare, équipe par exemple ses clients de ses applications en échange d’un contrat d’assurance. Et que les primes soient fonction du bon suivi du patient.
Cette santé connectée peut-elle séduire les patients que nous sommes ?
Il y a un gap entre les populations touchées par ces pathologies chroniques et qui ont plus de 65 ans, et ceux qui utilisent ces applications. Aux Etats-Unis, moins de 15% des personnes de plus de 65 ans ont un smartphone, et seulement 8% ont utilisé une application de santé. Est-ce que tout cela va se diffuser ? Nous n’en savons rien.
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