C’est un colloque au titre étonnant qui s’est tenu cet été à Boulder (Colorado, Etats-Unis) : le treizième Congrès sur l’autonomie génitale et les droits de l’enfant. Il s’agit d’un cadre interdisciplinaire autour des mutilations sexuelles rituelles, l’excision et la circoncision étant les formes les plus connues. Des juifs, d’Israël et des Etats-Unis, sont ainsi venus présenter une pratique qui prend de l’ampleur, la «brit shalom», tendant à remplacer la «brit milah» (circoncision classique). Il s’agit d’une cérémonie au cours de laquelle la communauté réserve un accueil chaleureux au nouveau-né, sans couteau ni bistouri, et sans exclure la gent féminine de ce moment si essentiel pour les juifs puisqu’il marque l’alliance du peuple juif avec son dieu.
A Cologne, il y a deux ans, un tribunal allemand a condamné la circoncision rituelle médicalement non-justifiée de garçons mineurs. Charlotte Knobloch, présidente de la communauté juive en Allemagne, s’était émue de ce jugement en posant à ses concitoyens, à la une des journaux, cette simple question «Vous nous en voulez encore ?». Dans son article, elle expliquait qu’une remise en cause de la circoncision rituelle signifierait la fin de l’existence de la petite communauté juive en Allemagne. Son homologue autrichien, Ariel Muzicant, avait introduit une comparaison malheureuse dans la discussion : une interdiction de la circoncision serait pour lui assimilable à «une nouvelle tentative de Shoah, une extermination du peuple juif, mais cette fois-ci avec des moyens intellectuels». Le rabbin viennois Shlomo Hofmeister avait, lui, comparé cet acte chirurgical, qui aux Etats-Unis cause plus de 100 morts chaque année, à une «coupe de cheveux». Dans son article, il ne critiquait même pas la mezizah, un type de circoncision pratiqué par les communautés strictement orthodoxes au cours de laquelle le sang est aspiré directement par le mohel (celui qui pratique la circoncision) avec sa bouche.
En tant qu’humaniste et membre de la communauté juive en Autriche, j’ai critiqué la circoncision des bébés et des enfants et j’ai été, à mon tour, accusé de «préconiser l’extermination des Juifs» et d’être victime d’un type particulier de «haine de soi». Les non-juifs, eux, sont confrontés à de telles occasions à des accusations d’antisémitisme.
Pourtant, soixante-dix ans après la Shoah, il devrait être possible de prôner des réformes dans le judaïsme sans remettre en question pour autant l’identité juive.
Le contre-argument est souvent : «Mais c’est dans la Torah !». Bien sûr, on pourrait d’abord se demander pourquoi les femmes ne devraient pas, elles aussi, porter de signe de cette alliance avec Dieu. Il est également intéressant de noter que le judaïsme rejette déjà d’autres passages de la Torah. Dans le troisième livre de la Genèse, on lit par exemple : «Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils commettent tous deux un acte abominable. Ils seront punis de mort, leur sang retombera sur eux.» (Lév. 20, 14). Aucun juif sain d’esprit ne tenterait aujourd’hui de tuer les homosexuels.
En Autriche, où je vis, le piercing est autorisé à partir de 16 ans, 18 ans pour les piercings génitaux et 16 ans pour les tatouages. Pourquoi autoriser l’amputation du prépuce à l’âge de 8 jours ou jusqu’à 7 à 9 ans, dans le cas des musulmans ? Maimonide, le philosophe, rabbin et médecin le plus important du XIIe siècle, avait déjà signalé que la circoncision avait un effet inhibiteur sur la jouissance sexuelle. C’est pour cette raison que les quakers recommandaient la circoncision aux Etats-Unis car la perte de sensibilité du pénis devait aider à lutter contre la masturbation. Avant cela, dans la première moitié du XIXe siècle, un mouvement juif réformé important avait rejeté ce rituel. Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique a non seulement critiqué la mezizah, il a aussi veillé à ce que son propre fils, Hans, ne soit pas circoncis. Franz Kafka a été tellement secoué par la circoncision de son neveu qu’il a décidé le lendemain d’écrire un rapport sur les circoncisions en Russie. Sigmund Freud a vu, pour sa part, dans ce rituel un «substitut de la castration», une expression de la soumission à la volonté du père.
Selon la Halacha, doctrine du judaïsme fondée sur les lois écrites et orales, on peut tout à fait être juif sans être circoncis. La nécessaire séparation de l’Etat et des religions devrait permettre de placer les droits des enfants au premier plan, en particulier l’article 19 de la convention relative aux droits de l’enfant, qui concerne l’intégrité physique. Comment se peut-il que l’Agence européenne des droits fondamentaux puisse compter jusqu’à trois personnes employées à temps plein en qualité d’experts pour les droits de l’enfant sans n’avoir jamais publié une seule ligne sur la circoncision forcée ? Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny pendant vingt-trois ans, expliquait dans Libération (1) : «Le corps de l’enfant n’appartient pas aux parents. Il faut, ainsi, condamner de manière très explicite l’excision. Et commencer à ouvrir un débat sur la circoncision, comme l’a demandé l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Je suis juif, je sais que c’est très polémique de dire ça. Mais circoncire, c’est modifier le sexe d’un enfant au nom de ses croyances à soi.»
(1) Faire avancer les droits des enfants, c’est travailler au bien-être de tous, «Libération» du 28 juillet.
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