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lundi 15 septembre 2014

Joël Pommerat passe la parentalité au scanner

LE MONDE | Par 
Quelle bonne idée a eue le théâtre des Bouffes du Nord de reprendre en cette rentrée une des plus belles pièces de Joël Pommerat : Cet enfant, créée en 2006. Le spectacle n'a pas vieilli, il brille de tout son éclat noir et coupant, drôle et terrible, bouleversant dans sa manière de passer au scanner les relations entre parents et enfants, de sonder ce lien indéfectible et problématique.
Joël Pommerat aux Bouffes du Nord, à Paris, en mars 2007.
Cette pièce a d'ailleurs une histoire bien particulière dans le parcours de Joël Pommerat. En 2002, l'auteur et metteur en scène, qui n'était pas encore la star qu'il est devenu dans le théâtre français, est contacté par la caisse d'allocations familiales (CAF) du Calvados. L'administration veut créer un spectacle sur la « parentalité », afin de le jouer dans les centres sociaux de la région, et favoriser ainsi les échanges de paroles sur les difficultés rencontrées dans le rôle de parent.
RELATION PARENT-ENFANT
La consigne de la CAF est claire : la pièce doit être écrite à partir de paroles recueillies chez les habitants. Cette exigence, Joël Pommerat ne l'a pas respectée, et il a eu raison : il a fait œuvre d'artiste, et non pas de travailleur social, même s'il a rencontré et écouté de nombreux parents. Il a écrit « sa » pièce, qui ne s'inspire pas directement des personnes rencontrées, mais distille l'essence de la relation parent-enfant, dans ses replis les plus secrets et les plus obscurs. Une première version du spectacle, intitulée Qu'est-ce qu'on a fait ?, a bien été jouée dans des centres sociaux, en 2003. Puis Pommerat et son équipe ont développé la matière originelle, et c'est devenu Cet enfant.

C'est le mythe que Joël Pommerat va chercher derrière les situations les plus banales – les plus banalement sordides. Ce sont bien des situations-limites, déclinées en une série de courtes scènes, qu'il saisit ici, mais, comme dans la tragédie, ces séquences mettent en jeu nos pulsions les plus secrètes, nos fantasmes, la peur de l'abandon ou de ne pas être aimé, tout ce qui fait que la famille est toujours, de manière plus ou moins pathologique bien sûr, un jeu de bourreau et de victime.
UNE RÉPARATION OU UNE REVANCHE
Ainsi de cette première séquence, où se lit l'admiration de Pommerat pour Ingmar Bergman. Une mère parle en voix off (comme une déesse de tragédie antique, comme le fatum) à sa fille adulte. « J'aurais tellement aimé que tu brilles, que tu sois comme un soleilMais tu es grise, ma fille », susurre-t-elle d'une voix douce, dans cette scène où la cruauté et la perversité sont mises à nu de manière imparable.
Dans une autre séquence, une jeune femme enceinte, que l'on suppose dénuée de tout, déroule en une longue litanie ce que sera son enfant. « Mon enfant sera un enfant plus heureux que la moyenne des autres enfants », dit-elle, et tout est dit de l'enfant qui vient comme une réparation ou une revanche. La scène est d'autant plus impressionnante que la jeune femme est interprétée par Ruth Olaizola, actrice historique de Joël Pommerat, puissante et tellurique comme une Médée des banlieues d'aujourd'hui.
Tous les acteurs – Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Jean-Claude Perrin, Marie Piemontese – sont parfaits, dans ce jeu si particulier à Joël Pommerat, empreint d'étrangeté. C'est grâce à eux que Cet enfant atteint cette justesse humaine inouïe, dénuée de tout misérabilisme. Grâce à eux que ce spectacle touche un noyau viscéral et intime, à l'image de la Chanson douce d'Henri Salvador, qui, déclinée, désaccordée, réarrangée façon rock par Antonin Leymarie, sert de leitmotiv à la pièce. On l'emporte avec soi dans la nuit, comme un cadeau.


Cet enfant, de et mis en scène par Joël Pommerat. Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, bd de la Chapelle, Paris 10e. Mo La Chapelle. Tél. : 01 46 07 34 50. Du mardi au samedi à 20 h 30, samedi également à 16 heures, jusqu'au 27 septembre. De 24 € à 30 €. Durée : 1 h 10. www.bouffesdunord.com

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