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jeudi 3 juillet 2014

Mères et intermittentes, la double peine des « matermittentes »

Le Monde.fr | Par 
Une banderole lors d'une manifestation des "matermittentes" en 2010.
Cela fait quatre ans que les « matermittentes » crient dans le désert. Sans doute seront-elles davantage entendues, cet été, alors que s'ouvre le Festival d'Avignon le 4 juillet, en plein conflit des intermittents du spectacle. En 2010, ces intermittentes en congé maternité dénonçaient déjà les discriminations dont elles font l'objet, pendant cette période (Le Monde du 27 juillet 2010). En quatre ans, seules quelques mesures ont été prises pour prévenir les problèmes kafkaïens qu'elles rencontrent, comme cette circulaire du 16 avril 2013 qui rappelle les règles applicables à l'attention des Caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM).

Mais cela n'a pas suffi. Et l'avocate des « matermittentes », MeSylvie Assoune, s'apprête à faire un recours en annulation, devant le Conseil d'Etat, de l'accord du 22 mars sur l'assurance-chômage, avec le concours de Me Thomas Lyon-Caen. L'accord du 22 mars, qui a déclenché la nouvelle crise des intermittents depuis ce printemps, est attaqué pour discrimination, fondée notamment sur l'état de grossesse. « Pour résumer, une intermittente enceinte voit généralement ses revenus diminuer pendant le congé maternité – quand elle en perçoit ! – alors que ce n'est pas le cas pour les femmes dans le régime général. »
L'avocate salue le combat des « matermittentes », qui est aussi d'intérêt public, dit-elle : « Outre les intermittentes, toutes les femmes à l'emploi discontinu sont concernées par ces diverses discriminations – vacataires, intérimaires, journalistes-pigistes… – ainsi que les hommes et les femmes en arrêt longue maladie. Ainsi, le combat des “matermittentes” est en train de rendre service à tout un pan de la population. » Car, parfois, avec un dossier en « béton », les plaignant(e)s gagnent devant le tribunal des affaires de la Sécurité sociale (TASS).
TEXTES ABSCONS
Mais il ne faut pas avoir peur de plonger dans les textes les plus abscons. Comme pour les intermittents du spectacle, ces femmes à l'emploi discontinu doivent avoir réalisé un certain nombre d'heures de travail pour être éligibles aux prestations : parmi les règles en vigueur, elles doivent avoir effectué 200 heures de travail au cours des « trois mois civils » ou des « quatre-vingt dix jours » précédant l'arrêt de travail, la date du début de grossesse, ou du congé prénatal.
On peut noter qu'on demande à ces femmes enceintes un volume d'heures relativement plus élevé que pour les intermittents, quand ils cherchent à ouvrir des droits auprès de l'Unedic : en effet, ceux-ci doivent réaliser les 507 heures en 10 mois et demi (pour les artistes) ou en 10 mois (techniciens). Selon nos informations, un décret émanant du ministère des affaires sociales prévoit d'abaisser le seuil requis – à 150 heures sur un trimestre – et devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2015. Mais il faudrait aller plus loin et « assouplir » la période de référence, explique Clémence Bucher, du Collectif des « matermittentes » :« Il faudrait que l'on puisse comptabiliser ces trois mois dans l'année, de façon glissante, et que l'on retienne les trois mois qui avantagent le plus la salariée », soutient-elle.
Mais il y a pire, dans l'écheveau de textes. Ainsi, une femme qui n'a pas ses « 200 heures sur trois mois » peut vérifier si elle entre dans une autre catégorie, fondée sur le montant de cotisations qu'elle a acquittées sur six mois. Problème : ce texte n'a pas été actualisé depuis les deux lois Aubry sur les 35 heures – qui datent de 2000 et 2002 ! Ainsi, le calcul requis pour la prise en charge des « matermittentes » prend pour référence les 39 heures hebdomadaires. « Des femmes, qui pourraient entrer dans les clous sur la base des 35 heures, sont jugées irrecevables du seul fait que les textes n'ont pas été actualisés. Mais comment se fait-il que ni le gouvernement, ni les parlementaires ne se soient emparés de ce problème ? C'est à croire qu'il y a une volonté assumée de faire des économies, avec des dossiers rejetés », s'indigne Me Assoune.
« C'EST ALORS LA DOUBLE PEINE QUI S'APPLIQUE »
C'est pour cette raison qu'Olivia, cadreuse dans l'audiovisuel, n'a pas reçu de prestations pendant son congé maternité, suite à la naissance de sa fille, en 2011. « C'est alors la double peine qui s'applique, lorsque la femme tente de rouvrir des droits auprès de l'Unedic, à l'issue de son congé maternité », poursuit l'avocate. En effet, un forfait de cinq heures par jour est normalement prévu pendant la durée du congé maternité, afin d'aider les intermittentes à réunir les fameuses 507 heures. Mais, si l'indemnisation est refusée par la CPAM, alors l'Unedic ne prend pas en compte ce forfait de cinq heures par jour…
Echaudée, Olivia est devenue une experte : avant la naissance de son deuxième enfant, tout était calé. Son congé maternité lui a bien été indemnisé. Mais, même dans ce cas-là, les « matermittentes » sont désavantagées au moment où elles rouvrent des droits, à l'issue de leur congé. En effet, si l'Unedic prend en compte le forfait des cinq heures par jour, il s'agit de cinq heures à… zéro euro. De ce fait, le montant de l'allocation journalière s'en trouve diminué. Olivia a ainsi perdu dix euros par jour, pendant quatre mois.
DES RECOMMANDATIONS DE DOMINIQUE BAUDIS EN 2012
En 2012, trente-trois « réclamantes » ont saisi le Défenseur des droits, qui n'était autre que Dominique Baudis, décédé le 10 avril. Le 13 mars 2012, Dominique Baudis rendait des conclusions sans équivoque, en se basant sur divers textes, comme la directive du 19 octobre 1992 visant à améliorer la santé des « travailleuses enceintes ». Voici les « recommandations » qu'il formulait : à l'Unedic, il demandait d'assurer « la prise en compte du congé maternité, en toute hypothèse » et, au ministre du travail,« d'engager une réflexion en lien avec les partenaires sociaux afin d'assurer l'indemnisation du congé maternité des intermittentes du spectacle et le maintien de leurs droits » à l'issue de ce congé.

Mais il n'en a rien été, et l'accord du 22 mars ne dit pas un mot sur le sujet. Une session de rattrapage est prévue dans le cadre de la « concertation » qui vise à « refonder » le régime des intermittents et rassemblait pour la première fois, jeudi 3 juillet, tous les protagonistes, y compris la Coordination des intermittents et précaires. « Mais cette concertation ne concerne que les intermittents, et non pas tous les salariés à l'emploi discontinu. De quel droit les artistes et les techniciennes du spectacle enceintes seraient-elles des privilégiées, par rapport aux autres femmes ? », relève Clémence Bucher, du Collectif des « matermittentes ».

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