En ces années 1630, Loudun (Vienne) est devenue un site d'attraction. Des milliers de personnes se pressent dans ses églises pour y assister à des séances d'exorcisme. Au cours de ces « spectacles », les possédées, de jeunes religieuses du couvent des ursulines, sont prises de spectaculaires crises convulsives. Elles balancent leur corps en arrière jusqu'à ce que leur tête touche leurs pieds, puis se mettent à marcher dans cette position impossible. Elles hurlent, leurs propos et leurs gestes sont si indécents que les plus libertins sont scandalisés.
Parmi les « vierges folles » les plus démonstratives, une certaine Sœur Claire dévoile ses parties intimes, puis se masturbe en proférant insanités et blasphèmes. Elle sera même vue glissant un crucifix sous sa jupe pour assouvir ses désirs, racontent l'historien Hilary Evans et le sociologue Robert Bartholomew dans leur captivant Outbreak ! (Anomalist Books, 2009), une «encyclopédie des comportements sociaux extraordinaires » qui consacre un long chapitre aux possédées de Loudun. Cette épidémie de possession, parmi les mieux documentées et les plus étudiées au monde, durera sept ans, devenant une véritable affaire d'Etat.
Tout commence en septembre 1632 quand Jeanne des Anges, la prieure du couvent des ursulines, jeune femme instable voire perverse, se met à souffrir de convulsions, d'hallucinations, de catalepsie… Rapidement, d'autres sœurs se plaignent des mêmes maux, et se disent importunées par des spectres. La nuit, elles errent dans le couvent, grimpant même sur les toits. En quinze jours, plus d'une vingtaine d'ursulines sont contaminées.
UNE FOLIE CONTAGIEUSE
Le 5 octobre, un exorcisme est pratiqué sur la prieure, possédée par sept démons. Ce sera, selon Evans et Bartholomew, la première d'un nombre incalculable de ces cérémonies « quasi quotidiennes pendant sept ans », destinées à chasser le diable.Très vite, un prêtre, Urbain Grandier, se retrouve au cœur de l'affaire. Accusé par les possédées – qui ne l'ont pourtant jamais vu – d'être à l'origine de leurs obsessions érotiques, ce sulfureux personnage, grand séducteur, fait un coupable idéal, d'autant qu'il s'est, pour une tout autre raison, attiré l'hostilité du puissant cardinal de Richelieu.
Le 30 novembre 1633, ce dernier le fait jeter en prison. Grandier sera brûlé en place publique le 18 août 1634… sans aucun effet sur les symptômes des possédées. Les séances d'exorcisme continuent, mais ne font qu'attiser l'excitation des nonnes. Jeanne des Anges développe même une grossesse nerveuse. Ses démons sont expulsés un à un jusqu'à sa guérison vers 1638, qui entraîne celle des autres nonnes. La possédée, devenue miraculée, fait alors une tournée dans le royaume de France… Après des années de cauchemars, Loudun retrouve le calme.
La folie n'a pas seulement saisi ces religieuses. Elle a aussi gagné au moins trois des exorcistes, et deux officiels impliqués dans l'exécution d'Urbain Grandier. Sans compter la population. « Du jour où les exorcismes se firent dans les principales églises, plusieurs filles séculières qui étaient venues assister à cet étrange spectacle prirent le germe de la même maladie. Ce qui montre combien la réaction des effets nerveux se fait sentir sur les êtres faibles et enclins au merveilleux », écrit le docteur Gabriel Legué, un disciple de Charcot, dans Urbain Grandier et les possédées de Loudun, publié en 1880.
DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE
Emblématique des hystéries collectives, la possession dans un couvent a fasciné des générations d'historiens et de psychiatres. L'épisode de Loudun et d'autres affaires de « possession diabolique » survenues au XVIIe siècle à Aix-en-Provence, Louviers ou Auxonne présentent de nombreuses caractéristiques les apparentant à des épisodes d'hystérie collective, confirme Jean-Bruno Renard, professeur de sociologie à la faculté de Montpellier. « Toutes ont lieu dans des couvents de religieuses cloîtrées appartenant à l'ordre des ursulines », remarque-t-il dans son chapitre sur les hystéries collectives, issu de l'ouvrageLes Peurs collectives (éditions Eres, 2013), sous la direction de Sylvain Delouvée, Patrick Rateau et Michel-Louis Rouquette.
« Le scénario est pratiquement identique dans tous les cas »,poursuit Jean-Bruno Renard : une religieuse soudain sujette « à des crises de convulsions, à des visions, à des délires érotiques » ; un phénomène de contagion, un prêtre bouc émissaire… Comme dans bien d'autres épisodes d'hystérie collective – dont l'expression a, elle, évolué selon les époques –, on retrouve un contexte de détresse psychologique.
Ainsi, en 1632, Loudun venait d'être décimée par une épidémie de peste, et les tensions religieuses étaient fortes entre catholiques et protestants. Il est aussi probable que la plupart des jeunes ursulines n'étaient pas venues de leur plein gré s'enfermer dans un couvent aux conditions de vie modestes.
LES MYSTÈRES DE L'HYSTÉRIE COLLECTIVE
Ces affaires de possession sont très intéressantes du point de vue de l'histoire des mentalités, relève aussi Jean-Bruno Renard, car elles se situent dans une époque intermédiaire entre la chasse aux sorcières, qui a sévi aux XVe et XVIe siècles, et l'émergence de la médecine et de la psychiatrie, qui ont permis de considérer ces femmes plutôt comme des victimes, des malades.
A quelques décennies près, Urbain Grandier aurait sans doute évité le bûcher, et les infortunées religieuses des années de souffrance. Car, face à une hystérie collective, les médecins ont montré que le meilleur moyen de stopper les symptômes et la contagion est d'isoler les victimes, soit l'opposé de séances publiques d'exorcisme.
Reste, comme souvent, à l'origine de ces phénomènes collectifs spectaculaires, une part de mystère. Comme l'écrit joliment Jean-Bruno Renard, « l'hystérie collective est à la psychosociologie ce que la foudre en boule est à la physique : un phénomène rare, mais attesté, dont les caractéristiques sont bien connues et qui pourtant reste largement inexpliqué ! ».
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