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mercredi 14 mai 2014

Van Gogh et Artaud, la rage sur grand écran

LE MONDE | 
Kirk Douglas dans "La Vie passionnée de Vincent Van Gogh" de Vincente Minnelli, 1956.
En marge de l'exposition « Van Gogh/Artaud. Le suicidé de la société », le Musée d'Orsay programme dans son auditorium une quinzaine de films répartis en deux cycles, « Artaumania » et « Van Gogh à l'écran ». Le premier s'intéressant aux incursions occasionnelles de l'acteur-écrivain au cinéma, le second aux diverses façons dont les cinéastes ont investi la figure tragique du peintre maudit.
Antonin Artaud, homme de théâtre, proche de l'avant-garde cinématographique française des années 1920 (Louis Delluc, René Clair, Jean Epstein, Abel Gance, Germaine Dulac et Marcel L'Herbier), écrivit des textes pleins de vigueur et d'enthousiasme sur cet art nouveau dont il avait très vite entrevu quelles possibilités expressives et quasi médiumniques il offrait au comédien : « Au cinéma, l'acteur n'est qu'un signe vivant. Il est à lui seul toute la scène, la pensée de l'auteur. »

CE FACIÈS ABRUPT COIFFE UN CORPS ÉLANCÉ ET NOUEUX
Un « signe vivant », quelle formule plus apte à décrire les apparitions, ou, devrions-nous dire, les irruptions d'Artaud à l'écran, brèves et violentes comme des coups de tonnerre ? Artaud, c'est d'abord un visage taillé à la serpe, un triangle anguleux et éperdument long, bossué par des pommettes creusant en son centre une inquiétante dépression.
Ce faciès abrupt coiffe un corps élancé et noueux qui jette ses membres dans l'espace comme les traits d'une écriture violente. Mais c'est surtout son regard clair qui s'impose, véritable talisman de fascination dont la lueur magnétique renvoie toute l'exaltation.
Ce physique halluciné le prédisposait évidemment aux rôles de grands mystiques. Dans La Passion de Jeanne d'Arc (1928), chef-d'oeuvre absolu du muet où il interprète le moine Jean Massieu, tout en componction illuminée, Dreyer saisit son visage en contre-plongée et renforce son allure d'éboulement, à la fois calme et menaçant.
Dans Lucrèce Borgia d'Abel Gance (1935), il incarne le célèbre prédicateur fanatique Jérôme Savonarole, haranguant d'une voix pénétrée le peuple de Florence, délivrant ses oracles apocalyptiques les cheveux ébouriffés et les bras lancés vers le ciel. Mais la pièce maîtresse du cycle est certainement la seconde version du monumental Napoléon (1935), pour laquelle Gance a tourné des scènes supplémentaires et sonorisé certains passages : on y entend la voix possédée de l'acteur revenir sur sa prestation électrique dans le rôle de Marat, le plus passionné et investi de toute sa carrière. Signalons encore Faits divers (1923), premier court-métrage du jeune Claude Autant-Lara, où Artaud tint son tout premier rôle.
SES « PEINTURES ÉTAIENT DES FEUX GRÉGEOIS, DES BOMBES ATOMIQUES »
Dans Le Suicidé de la société, Artaud écrivait sur Van Gogh que ses « peintures étaient des feux grégeois, des bombes atomiques». Quel autre rapport entre les deux figures ? La fièvre, bien sûr : cette ombre brûlante sur le front de l'un, cette pulsation ondulatoire sur les toiles de l'autre. Cette rage qu'Artaud expulse sur l'écran, les diverses incarnations de Van Gogh semblent l'intérioriser, la contenir.
Dans La Vie passionnée de Vincent Van Gogh (1956), Vincente Minnelli intègre le destin du peintre, interprété par un Kirk Douglas confondant de mimétisme, à la forme romanesque du mélodrame hollywoodien. Dans son Van Gogh de 1991, Maurice Pialat sape le romantisme qui flotte autour de l'artiste, le replonge dans la matérialité brute des paysages qui l'ont inspiré. Plus étonnant, dans Vincent et Théo, de Robert Altman (1990), Tim Roth s'empare du personnage et en fait une sorte de punk déchaîné aux cheveux rouge sang.
Mais il fallait peut-être le regard d'un Japonais, enfant du séisme, pour réactiver notre approche de Van Gogh. Dans un segment deRêves (1990), Akira Kurosawa se revoit en jeune aspirant peintre et, à la faveur d'un effet spécial rudimentaire, se projette dans les tableaux célèbres et s'y promène comme dans un décor grandeur nature. C'est alors comme si nous découvrions ces oeuvres pour la première fois, à travers le regard bouleversant de candeur joyeuse et la noble humilité d'un vieux maître encore émerveillé.

Artaumania – Antonin Artaud et le cinéma/Van Gogh à l'écran. Festival du 16 au 25 mai. Auditorium du Musée d'Orsay. 1, rue de la Légion-d'Honneur, Paris 7e. 4,5 € à 6 €. musee-orsay.fr

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