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samedi 17 mai 2014

Un combat originel







Paris, le samedi 17 mai 2014 – Drôle d’endroit pour une rencontre. Certains, rêveurs et un brin mièvres y verront la confirmation que les flèches de Cupidon piquent n’importe où. D’autres plus cyniques jugeront plutôt qu’il s’agit de la confirmation que même en amour il n’y pas de hasard. Il était le président de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA). Elle venait d’apprendre à l’âge de 29 ans que sa naissance avait été permise grâce à un donneur de sperme anonyme. Quatre ans plus tard, ils convolaient en juste noces. Mais l’histoire ne dit pas s’ils auront beaucoup d’enfants. 

Frères et sœurs anonymes

Car Audrey Kermalvezen, 34 ans, avocate spécialisée dans la bioéthique qui vient de publier « Mes origines, une affaire d’Etat » aux éditions Max Milo préférerait avant de donner naissance à un enfant lever un doute. Son mari ayant été comme elle conçu grâce au don d’un donneur de sperme, comment exclure qu’ils ne soient pas frère et sœur ? Le « risque » bien sûr est extrêmement faible et pourrait n’être qu’un prétexte supplémentaire pour justifier son combat en faveur non pas de la levée de l’anonymat des donneurs de sperme, mais de la possibilité pour les enfants issus d’un don de découvrir après leur majorité l’identité du donneur, si celui-ci l’accepte, à la manière de ce qui existe pour les femmes accouchant sous X.
 La justice plus longue qu’une gestation
Pour l’heure et pour toutes les personnes nées grâce à un don de gamète, Audrey Kermalvezen souhaite l’accès aux données "non identifiantes" et notamment aux antécédents médicaux. Dans son combat pour disposer de telles informations, Audrey Kermalvezen s’est déjà heurtée au refus de l’administration et de la justice. «L’administration fait du zèle en ne voulant pas délivrer l’information, car rien dans les textes ne lui interdit de le faire. J’ai perdu mon procès, j’attends la décision du Conseil d’Etat. En cas d’échec, j’irai devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui juge, elle, que toute personne a le droit de connaître l’identité de ses géniteurs. Mais elle met entre cinq et huit ans pour juger un dossier. J’aurais entre 40 et 43 ans. Ce n’est plus vraiment un âge pour faire un enfant » explique-t-elle au Point. 

Réponse à tout… ou presque

En tant qu’avocate, brillante et énergique, Audrey Kermalvezen ne s’est pas contentée de conduire son combat pour elle seule (comme en témoigne la publication de son livre). Aussi aspire-t-elle a répondre à toutes les questions soulevées par ce sujet complexe du droit aux origines. Quand on lui signale qu’une levée de l’anonymat, même partielle pourrait avoir des conséquences négatives sur le nombre de donneurs, qui déjà n’est guère flambant, elle affirme au Figaro : « En  Suède, la levée de l’anonymat est possible depuis 1984. La quantité de dons a chuté en 1985, mais elle est revenue au même niveau dès l’année suivante », remarque-t-elle, sans cependant, bien que spécialiste de ces questions, revenir sur les conséquences juridiques d’une telle évolution. Or, dans de très rares cas, comme il y a quelques années en Allemagne, des pensions alimentaires ont pu être réclamées aux « pères » biologiques. 

Ne pas tuer le père

Peu disserte sur cet aspect dans ces interviews, la jeune avocate n’élude pas a contrario la dimension « affective ». « Il n’est pas question pour moi de choisir une nouvelle filiation. Mon père est celui qui m’a élevée, et il restera mon père. Et puis ce n’est pas un chromosome qui fait le père ! » répond-elle par exemple au Point.  D’ailleurs, comme le raconte Libération, au lendemain de la révélation par sa mère du « mystère » de sa conception, elle s’est rapprochée de son père. La jeune femme refuse également les interprétations psychanalytiques, qui pourraient insister sur le traumatisme que peut représenter une révélation tardive de ce type ou sur le désir d’en savoir plus sur sa conception à l’heure où l’on s’apprête à concevoir soi même. « Je ne suis pas un petit enfant en souffrance. Je suis une adulte qui demande justice », rétorque-t-elle. Pourtant, bien sûr, il y a dans son discours quelques éléments qui s’éloignent du rationnel, de la statistique. « Les cinq personnes que je connais ayant été conçues à Necker, par exemple, ont toutes le même groupe sanguin, A-, comme 6 % de la population française, les cheveux ondulés et les yeux marron-vert » assène-t-elle par exemple au Figaro, oubliant que de telles données ne peuvent pas constituer une démonstration scientifique ! 

Les fils de médecins et de prisonniers sur représentés parmi les bébés éprouvettes ?

Certains éléments développés dans son livre ou dans ses interviews ont plus de poids. Au terme d’une enquête assez précise, Audrey Kermalvezen suggère l’existence de pratiques qui seraient (ou tout au moins auraient été) en contradiction avec la loi. Le nombre d’enfants nés du même donneur dépasseraient ainsi fréquemment les dix prescrits par la loi (notamment parce que les vérifications destinées à s’assurer qu’une même personne n’a pas donné dans plusieurs lieux sont très limitées), les CECOS manqueraient de transparence dans leurs déclarations à la CNIL ou encore le début des bébés éprouvettes aurait été marqué par des pratiques de recueil du sperme douteuses. Les jeunes médecins et les prisonniers auraient été invités dans un même mouvement à faire don de leur personne…

Interrogations universelles

Audrey Kermalvezen estime enfin qu’une plus grande transparence dans ce domaine permettrait de lever le tabou qui existe encore en France sur ces questions et dont elle a été la « victime ». « En France actuellement, on peut estimer qu’environ 70 000 personnes ont été conçues grâce à cette technique. Et quelque 64 000 ne le savent pas» rappelle-t-elle au Figaro affirmant que dans les pays où la levée de l’anonymat est possible, cette proportion est beaucoup plus faible. Derrière l’assurance, cette quête obsessionnelle nourrit forcément la réflexion. Le cas d’Audrey Kermalvezen est-il une illustration (médiatisée) des questionnements qui nous animent tous à propos de notre conception, de notre devenir, et de notre raison d’être, interrogations qui prennent nécessairement une dimension particulière en de telles circonstances. Ou est-il au contraire le témoignage d’une époque qui fait de la transparence la principale vertu, oubliant combien le secret peut parfois avoir de qualités. 


Y compris celui de permettre à des avocates entêtées et brillantes de voir le jour.

Aurélie Haroche

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