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lundi 5 mai 2014

Tieri Briet: écrire pour sauver ma fille. Histoire d'un livre

Le Monde.fr | 
Par 
Une illustration de Jessy Deshais.
C’est un « livre de guérison » qu’a écrit Tieri Briet, pour donner à sa fille Leán la force de se battre contre sa maladie. Mais c’est aussi devenu, à la demande de la jeune fille, un « livreprotecteur », une tentative littéraire de mise en garde à l’adresse des adolescentes et des jeunes femmes aspirées par la spirale morbide de l’anorexie.
Lorsque sa fille est hospitalisée, en août 2010, Tieri Briet se retrouve seul et démuni face au processus thérapeutique qui s’engage. Ne pouvant plus la voir, il décide de lui écrire. « Mon travail à moi,lui dit-il, maintenant je commence à comprendre, c’est d’écrire ce qui vient de surgir dans nos vies. Devenir la main d’un père qui écrit à sa fille, en essayant de retrouver les filaments de ton histoire. » Il lui fait part de son désarroi face à cette maladie dont il s’aperçoit ne rien savoir, lui relate les épisodes de son enfance qui lui reviennent en mémoire, lui donne des nouvelles de la famille. Mais, assez rapidement, l’équipe médicale n’autorise plus la correspondance. Tieri Briet continue donc d’écrire à sa fille, dans un carnet, qu’il lui offrira à sa sortie d’hôpital.

Si, de ces lettres, il y a bien matière à faire le livre qu’est devenuFixer le ciel au mur, c’est que Tieri Briet choisit rapidement de faire confiance à la littérature et à la puissance des histoires pour transmettre à sa fille le goût de vivre. Il cherche, dans la vie de l’écrivaine albanaise Musine Kokalari (1917-1983), et dans la correspondance qu’elle a entretenue avec la philosophe allemande Hannah Arendt (1906-1975), les modèles de courage et d’insoumission à transmettre à Leán. « Arriver jusqu’à toi dans cette chambre d’hôpital, écrit-il, en t’apportant une infime partie des forces qu’elles ont pu déceler en s’obstinant à écrire. Je crois dur comme fer à ce qu’elles ont pu approcher. Oui, je crois que le récit d’une vie entière peut nous servir à s’inventer une autre vie. Une destinée qu’on se bâtit seul, en écrivant, pour y puiser une vie bien plus intense et plus ancrée. »
Première femme albanaise à publier dans son pays, Musine Kokalari a été condamnée par le régime communiste d’Enver Hoxha pour avoir écrit, pendant la seconde guerre mondiale, dans le journal La Voix de la liberté, et pour avoir créé le Parti social-démocrate. Emprisonnée pendant dix-huit ans, puis envoyée en relégation dans le nord du pays où elle travaillait comme balayeuse de rue, l’écrivaine est peu connue en France, et ses livres ne sont toujours pas réédités en Albanie, comme si le pouvoir en place, avance l’écrivain, « ne voulait pas faire l’histoire de cette période-là ». C’est d’ailleurs par le plus grand des hasards que Tieri Briet a découvert les textes de Musine Kokalari. En vacances à Rimini avec ses parents, au début des années 1980, le jeune homme voit débarquer sur la plage « des réfugiés albanais, qui avaient traversé l’Adriatique et terminé à la nage. Ils s’échappaient de l’Albanie communiste, j’ai commencé à leur parler. L’un d’eux était un poète, qui m’a fait connaître les écrivains de son pays. Depuis, l’Albanie, son histoire et ses écrivains me fascinent. »
« UN PASSAGE, UNE ÉCHAPPÉE »
Durant l’hospitalisation de Leán, Tieri Briet accomplit le voyage, prévu de longue date, sur les traces de l’écrivaine. Il y rencontre sa nièce, qui lui donne ses manuscrits, pour qu’il les traduise et les fasse éditer en France. « Si on peut la faire exister en France, explique-t-il, et que, par ricochet, elle est publiée dans son propre pays, j’aurai accompli la mission qui m’a été confiée. » Mais surtout, comme il l’écrit dans Fixer le ciel au mur, il aura partagé avec chacun et chacune ces phrases qui ouvrent « un passage, une échappée vers une histoire qui conservait dans ses entrailles le pouvoir de sauver. Une histoire d’obstination lente. Une histoire ramenée à l’air libre pour l’aînée de mes filles. »
Ces lettres, avec leurs histoires de femmes insoumises, écrivains ou philosophes, sont donc devenues un livre, qu’il a fallu quelque peu recomposer, et dont certains passages ont dû être explicités. En treize chapitres, s’ouvrant chacun sur l’extrait d’une chanson (du Sud, de Nino Ferrer, à Poems, de Tricky, en passant par Ta douleur, de Camille), en lieu et place des photos qui accompagnaient à l’origine les lettres, Tieri Briet transforme son drame familial en récit à valeur collective, réflexion sur les origines d’une maladie qu’il considère comme une « pandémie, provoquée par la place de l’image dans une société proposant une maladie comme modèle de la beauté absolue », et exploration de la force que donne la littérature, à travers la lecture comme l’écriture.
Au carnet d’environ 110 pages que lui a offert son père, Leán a ­répondu par une longue lettre de 50 pages, dans laquelle elle dit­ ­notamment que ce texte l’aide « às’orienter ». C’est elle qui a souhaité qu’il puisse être lu par d’autres, par ses amis d’enfance, ses amis connus à l’hôpital, par tout un chacun, et que les noms de personnes et de lieux soient conservés. Elle confirme ainsi l’intuition de son père, pour qui « les histoires peuvent nous conseiller, nous guider, les histoires sont puissantes, elles peuvent même nous guérir ». Aujourd’hui, Leán va mieux, et a choisi… de devenir écrivaine.
Fixer le ciel au mur, de Tieri Briet, Rouergue, 138 p., 15,30 €.

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