RÉCIT B.V., 58 ans, est dans le
coma. Son cas rentre-t-il dans le cadre de la loi Leonetti sur la fin de vie ?
L’épouse pense que oui, à l’encontre de la fille aînée.
Souvent, ce sont les familles qui font des pieds et
des mains pour que leur proche, plongé dans le coma, soit admis à l’unité des
soins d’éveil du CHU de Strasbourg. Pas cette fois. B.V., 58 ans, dans le coma
depuis une chute de cheval le 16 juillet, est arrivé dans ce service alors que
son épouse et une de ses filles, mineure, s’y opposaient. Considérant que
tenter de réveiller leur père et mari constituait une «atteinte à sa dignité»,
une «obstination déraisonnable», elles ont saisi en référé le tribunal administratif
de Strasbourg. Sauf que le juge ne les a pas suivies et s’est rangé du côté de
l’équipe médicale, favorable au transfert du patient du service de
neurochirurgie de Colmar, où il est hospitalisé depuis neuf mois, vers l’unité
d’éveil strasbourgeoise.
De toute façon, quand la requête a été réceptionnée
par le tribunal le 2 avril, le transfert «non urgent», comme le soulignait
l’avocat de l’épouse lors de l’audience à huis clos, avait déjà eu lieu
quelques heures plus tôt… Les requérantes demandaient que les nouveaux soins
soient suspendus, au moins le temps que l’expertise médicale, à laquelle
personne ne s’opposait, ait lieu. Mais là, «le tribunal a estimé qu’il n’y
avait pas d’urgence à suspendre l’éveil !» relate leur avocat, Me André Knaebel.
Il explique que ce transfert «décidé sans concertation avec la famille» est un
«revirement incompréhensible, en totale contradiction avec le discours tenu par
l’équipe médicale jusqu’à présent».
Huis clos. En effet, fin novembre, les médecins informaient la
famille de l’ouverture d’une réflexion en vue de la limitation des
thérapeutiques consistant, entre autres, à suspendre l’alimentation et
l’hydratation. Autrement dit, le protocole sur la fin de vie prévu par la loi
Leonetti. Mais, comme dans le cas de Vincent Lambert (lire ci-contre), la
famille est divisée. D’un côté, l’épouse et la fille ont expliqué lors de
l’audience à huis clos qu’il n’y a «jamais eu le moindre signe de communication
ou de compréhension», jamais de «pronostic encourageant».«Peu de temps avant sa
chute, une personne de son entourage a été victime d’un AVC [accident
vasculaire cérébral, ndlr] et il a dit à son épouse que, si un jour il était
dans un état grabataire, il espérait qu’elle ne le laisserait pas ainsi»,
précise l’avocat.
De l’autre côté, sa fille aînée ainsi que deux de ses
cinq frères et sœurs estiment qu’il «a envie de vivre». L’une atteste à la
barre qu’il «est très réactif quand on le sollicite, qu’il sourit quand on lui
raconte des blagues et des histoires de [notre] enfance», rapporte le tribunal.
Sans consensus familial, une décision médicale collégiale aurait pu suffire.
C’est dans ce contexte que l’avis du Dr Pierre
Froehlig, chef de l’unité des soins d’éveil de Strasbourg, a été sollicité.
Dans son compte rendu, il notera que le patient est dans «un état de conscience
réactive […] avec la capacité de ressentir des émotions», qu’«il réagit à
l’appel de son nom et de son prénom, au toucher et à des ordres simples comme
le serrement de mains». Le signe que l’éveil, «un processus long», a commencé
et qu’il n’y a pas de temps à perdre. «Ici, alors même que les patients ne sont
pas stabilisés, ils sont stimulés. Ils ne stagnent pas», décrit-il. D’ailleurs,
au bout d’un mois, sans évolution, même infime, l’équipe étudie la pertinence
du maintien dans le service, où l’accent est mis sur les moyens humains, avec
deux infirmières pour six lits. Kiné, ergothérapeute, psychomotricien,
diététicien, orthophoniste, psychologue se relaient, guettent le moindre
frémissement, l’encouragent. Pour «promouvoir l’éveil», il faut «de l’humanité»
et une bonne dose de médicaments. De ceux qui soulagent les douleurs, les
angoisses et autres symptômes, choisis pour leurs effets secondaires parfois
surprenants, comme l’apparition de mouvements. Dans le cas de B.V., il pourrait
«ainsi décider de lui-même de son devenir», indique le tribunal. «C’est
choquant et loufoque que des médecins préfèrent booster un malade pour qu’il
prenne lui-même la décision d’être débranché ou pas !» s’indigne l’avocat de
l’épouse. Et de rapporter qu’elle «craint que son mari se retrouve dans cette
situation terrible où il prend conscience de son état sans avoir la capacité,
vu ses séquelles, de se prononcer sur la question». Ce que reconnaît le Dr
Froehlig : «L’éveil est traumatique, on tente tout pour le rendre supportable.
Les familles ont des deuils à faire dont celui de la personne qu’elles aiment
et qu’elles ne retrouveront jamais. Seulement, leur souffrance les empêche
parfois de voir toutes les options possibles.»
«Heureux». Dès la porte de son service, le praticien annonce la
couleur. Il montre une éraflure sur le montant : un patient qui voulait partir.
Preuve que certains sont plutôt très bien réveillés après un passage chez lui.
Dans la salle des familles, une cafetière, quelques chaises et des photos au
mur. Là, celle d’un adolescent, un ancien patient en vacances qui brandit un
billet d’un dollar. Comme B.V., il souffrait d’un grave traumatisme crânien. Le
fauteuil roulant échappe au cadre. «On est conscient de produire du handicap»,
souffle le Dr Froehlig qui dit «continuer de suivre de loin ses anciens
patients» et assure que «80% sont heureux». Et les autres ? L’année dernière,
sur les 36 patients passés dans le service du Dr Froehlig, la cellule éthique
s’est penchée sur deux malades en état végétatif, qui semblaient manifester des
signes de souffrance, comme des vomissements ou des pleurs. Finalement, les
familles ont fait marche arrière, renonçant à l’interruption des traitements.
Que la justice interfère dans son travail, le Dr Froehlig trouve cela
«kafkaïen», mais comme pour l’instant «le doute profite au patient», il est
«serein».
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