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jeudi 8 mai 2014

Quand des psy collaboraient avec les Nazis

Publié le 11/04/2014







 Si nul n’ignore le triste rôle joué par un psychiatre (Radovan Karadžić) [1] dans la guerre de Bosnie-Herzégovine entre les habitants de l’ex-Yougoslavie (Serbes, Croates et Bosniaques) de 1992 à 1995, on a oublié la participation non moins sinistre de médecins ou «psychothérapeutes » aux exactions commises par les régimes à la solde des Nazis, dans la même région du monde, durant la Seconde Guerre Mondiale. La Serbie était alors sous administration militaire allemande (le général Milan Nedić dirigeant un « gouvernement de salut national » installé par l’Allemagne), et l’État indépendant de Croatie (tenu d’une main de fer par les Oustachis d’Ante Pavelić, ancien avocat à Zagreb) était inféodé à l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste.

La revue History of Psychiatry rappelle ces heures sombres où la psychanalyse elle-même fut dévoyée pour servir la cause des dictatures en Europe. Cet article explore les bas-fonds d’une relation contre nature « entre la psychanalyse et l’autoritarisme d’extrême droite » et analyse une « institution psychothérapeutique unique, établie vers 1942 par le régime collaborationniste de Serbie. » Avec l’espoir d’enrayer la montée du communisme dans la population, la finalité consistait, selon les conceptions des psychiatres collaborateurs, à « rééduquer » les sujets susceptibles d’être «contaminés » par une « pensée déviante. »
Chez ces sectateurs du nazisme et du fascisme, le plus étrange réside dans leur adoption de concepts pourtant dénigrés par leurs maîtres hitlériens, à savoir ceux d’une «discipline juive », la psychanalyse ! La « cure de parole » proposée par ces psychiatres «d’un troisième type » entrait en contradiction flagrante avec la doctrine nazie sur la «dégénérescence » des malades mentaux et « l’impossibilité » ou « l’inutilité » de les soigner. Cette démarche surprenante fut initiée par Dimitrije Ljotic, un idéologue collaborateur dont le père fut paradoxalement le premier à « traduire en serbe le Manifeste du Parti Communiste » de Karl Marx et Friedrich Engels ! Ljotic se proposait de « sauver la jeunesse du communisme » dans un « Institut de rééducation obligatoire », en pratique une sorte d’« école-prison. »
À l’inverse des Nazis, ces psy-collabos admettaient donc quand même une possibilité de « récupérer » le sujet « aliéné » mais contrairement aux conceptions actuelles, ils rejetaient la probabilité d’une « base biologique » sous-jacente dans les pathologies psychiatriques, en particulier pour le communisme qu’ils assimilaient à une « maladie mentale. » Comme on peut l’imaginer, Ljotic ne put mener à bien son projet qu’avec l’accord des autorités allemandes qui « surveillaient de près ses activités et ses publications. »
Des années plus tard, en URSS, d’autres psychiatres retrouveront cette même tentation d’une « psychiatrie punitive » et « rééducative », en parlant de « schizophrénie torpide» (anti-socialiste) pour justifier l’enfermement de dissidents au Goulag ou tout au moins en « psikhouchka » (hôpitaux psychiatriques)... 
Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCES
Antic A : Therapeutic fascism: re-educating Communists in Nazi-occupied Serbia, 1942–44 History of Psychiatry, 2014; 25: 35-56.

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