Dans la salle aux murs crème de l'hôpital pour enfants Albert-Royer, dans le quartier de Fann, à Dakar, trois mères couvent leur nouveau-né d'à peine 2 kg. Ils reposent peau contre peau sur leur mère, bien au chaud. C'est la méthode kangourou.
Serrant contre elle son petit Adama, à l'intérieur d'un tee-shirt découpé pour laisser dépasser la tête de l'enfant, Comba Fall, 23 ans, est là depuis quatre jours. Elle est venue parce que son enfant, né durant le huitième mois de grossesse, perdait du poids. Il n'était déjà pas bien gros à la naissance, 1,6 kg. Mais la méthode kangourou a fait son effet : Adama regagne plusieurs dizaines de grammes par jour.
L'ENFANT DORT LA PLUPART DU TEMPS
Sur les deux lits voisins, les progrès sont similaires. Les mères pourront bientôt quitter le service. « Nous devons nous assurer que l'enfant reprend du poids, que la mère a assimilé les règles, qu'elle allaite son bébé toutes les deux à trois heures, car l'enfant dort la plupart du temps et ne réclame pas », explique Mme Fall Aida, responsable de l'« unité kangourou » où veillent trois infirmières et un pédiatre. Issa Niang, 22 ans, va rentrer chez elle. Son enfant pesait 1,7 kg à la naissance. « Il restera en kangourou jusqu'à atteindre 3 kg, la maman va devoir le porter contre elle jusque-là », ajoute la responsable.
A l'hôpital Albert-Royer, créé en 1982 avec l'aide du Canada, le service a accueilli 181 enfants depuis sa création en 2011. Le premier bébé du centre venait de Touba, à 200 kilomètres à l'est de Dakar. Né à vingt-huit semaines (sixième mois de grossesse) et pesant 800 grammes à la naissance, il avait été déclaré « non viable ». L'enfant est reparti en bonne santé.
PROTECTION THERMIQUE ET LIENS AFFECTIFS
Cette méthode, présentée pour la première fois en Colombie par les pédiatres Rey et Martinez, en 1983, est destinée aux nourrissons nés avant terme. Elle représentait une alternative au manque de couveuses et une solution dans les pays où la malnutrition entraîne la plupart du temps une perte de poids du prématuré. Cette technique, recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), permet de lutter contre les infections, assure une « protection thermique », favorise l'allaitement au sein et permet « l'établissement de liens affectifs » favorables au développement du nourrisson.
Haby Signaté, chef du service néonatalité de l'hôpital, explique :« Nos couveuses ne réglaient pas tous les problèmes. Il y avait des maladies nosocomiales. Le principe repose sur la maman. Au début, beaucoup d'entre elles ont peur. Il peut y avoir des problèmes de coutume, elles sont habituées à porter le bébé dans le dos. La méthode kangourou est une solution fiable. Et peu coûteuse. » Quatre décès seulement ont été enregistrés depuis la création du service, dont un à domicile, un dans le service et deux en soins post-opératoires. Un bilan satisfaisant pour Haby Signaté qui rappelle qu'en Afrique de l'Ouest, un tiers des décès d'enfants ont lieu dans les vingt-sept premiers jours de vie. La méthode permettrait de réduire de 40 % le risque de décès des bébés prématurés et de 60 % le risque de maladie, notamment l'hypothermie. Si d'autres personnes peuvent jouer ce rôle, une dizaine de pères seulement ont tenté l'expérience.
UNE PRIORITÉ NATIONALE
« Les mamans kangourous représentent une alternative à une prise en charge purement hospitalière. En France, la réanimation néonatale coûte de 2 000 à 3 000 euros par jour. Ici, la facture est de 6 000 à 26 000 francs CFA, soit 10 à 40 euros. Il faut proposer des solutions de qualité, mais accessibles financièrement », dit Jean-Pierre Bellefleur, conseiller régional santé au ministère des affaires étrangères français, en poste à Dakar.
Cette simplicité explique le succès du modèle emprunté au kangourou, dont le petit se développe à l'abri dans la poche marsupiale durant quelque 250 jours. « Nous nous sommes fixé le développement du kangourou à l'échelle nationale, déclare le docteur Bocar Daff, directeur de la santé de la reproduction et de la survie de l'enfant au ministère de la santé sénégalais. Comme nous manquons de moyens, c'est une priorité. Nous comptons une dizaine d'unités comme celle d'Albert-Royer, mais il n'y en a pas assez. Avec l'aide de l'Unicef Fonds des Nations unies pour l'enfance, nous formons des pédiatres, des infirmières, mais il nous reste beaucoup à faire. »
AUTOCLAVE EN PANNE
Les problèmes de santé néonatale restent importants. « Le taux d'accouchement assisté par du personnel compétent était de 65 % en 2012. Le reste se fait avec des accoucheuses traditionnelles, des grand-mères, dit Nestor Pepe Azandegbe, conseiller santé maternelle au Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). En 2000, le taux était de 47 %, l'évolution est donc positive. Pour espérer réduire la mortalité maternelle, il faut arriver au taux de 90 %. »
Dans la cour de l'hôpital Albert-Royer, aux bâtiments un peu décrépis, où patiente à l'ombre d'un superbe manguier une vingtaine de mères avec leurs enfants, le docteur Ibrahima Fall peste contre le manque de moyens. « L'autoclave de la buanderie est en panne et nous n'avons plus de quoi stériliser le linge et le matériel, c'est un scandale », explique ce chirurgien pédiatre. L'Etat devrait investir plus selon lui, et les patients ne devraient pas avoir à payer.
500 MILLIONS D'EUROS INVESTIS PAR LA FRANCE
Pour soutenir la politique de santé au Sénégal, la France a créé le Fonds Muskoka à destination de onze pays de l'Afrique de l'Ouest, qui vise à diminuer la mortalité infantile et maternelle, programmes 4 et 5 des Objectifs du millénaire pour le développement. Elle doit y investir 500 millions d'euros jusqu'en 2015, dont 95 doivent servir à soutenir le travail conjoint de quatre organisations des Nations Unies, l'OMS, l'Unicef, ONU femmes et l'UNFPA. La population ciblée par le Fonds français Muskoka au Sénégal est estimée à 3 millions de femmes en âge de reproduction et 1,8 million d'enfants de moins de cinq ans.« L'aide internationale représente un tiers des dépenses de santé au Sénégal », reconnaît M. Daff.
Sur le terrain, l'Unicef, l'UNFPA, ONU Femmes et l'OMS se sont réparti le travail. Pour toutes ces agences des Nations unies, « le bébé kangourou, c'est zéro franc, une intervention efficace sans coût », insiste Nestor Pepe Azandegbe.
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