Hautement médiatisée, la privatisation durant huit jours de neuf chambres de l'hôpital Ambroise-Paré suscite de sérieuses divergences à la tête de l'AP-HP. D'un côté, un DG, Martin Hirsch, qui assume ce côté "Robin des Bois". De l'autre, un président de CME, le Pr Loïc Capron, qui s'oppose fermement à de telles prises en charge en hôpital public.
Dans une position rappelée par écrit le 19 mai dernier à Martin Hirsch, le Pr Loïc Capron, président de la Commission médicale d'établissement (CME), prend le contre-pied du directeur général (DG) de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) dans la polémique hautement médiatique du séjour d'un émir autour du 8 mai, accompagné de sa garde rapprochée (une trentaine de personnes), à l'hôpital Raymond-Poincaré de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Coût : environ 200 000 euros à la charge du patient pour la privatisation de neuf chambres du service d'orthopédie durant huit jours (lire ci-contre). Évoquant l'opinion très divisée de la CME sur l'accueil lucratif des riches patients étrangers, le dirigeant médical réaffirme avoir "toujours été opposé à ce qu'on leur réserve des conditions particulières de soins et d'hébergement". À ses yeux, "cela va à l'encontre de ma conception du service public hospitalier. Même si ça nous rapporte de l'argent, un riche émir qui se réserve une salle entière de l'hôpital Ambroise-Paré sort totalement des clous qu'il me semble raisonnable d'imposer à la médecine hospitalière républicaine. Gagner des sous ne peut jamais tout justifier, même quand on est dans le besoin."
Les objections de la CME exposées début 2013
Dans un entretien au Journal du dimanche le 18 mai puis dans une adresse à la CME ce 21 mai, Martin Hirsch assume au contraire cette prise en charge VIP, saluant le "côté Robin des Bois" du CHU francilien. Assurant s'être accordé avec la communauté médicale – à l'inverse de ce que soutient Loïc Capron –, le DG déclare qu'"à un moment où nous avons besoin de tous les moyens pour soigner les plus modestes, où nous devons maîtriser nos dépenses tout en innovant, gagner de l'argent sur ces patients qui en ont les moyens, cela ne me choque pas". Et de préciser que sur janvier-avril 2014, l'AP-HP a d'ores et déjà accueilli 1 000 VIP, soit 0,4% des patients du CHU. "On atteindra sans doute 3 000 patients fin 2014", prédit Martin Hirsch, tablant sur près de 8 millions d'euros de gains en fin d'exercice budgétaire.
En février 2013, un groupe de travail initié par la CME (à télécharger ci-contre) soulevait plusieurs objections à une politique de prise en charge grand luxe des VIP étrangers : création d'une filière privilégiée avec un risque d'hôpital public à deux vitesses pouvant retentir sur l'organisation et les conditions de travail des équipes soignantes; péril infectieux lié aux bactéries multirésistantes dont ces patients sont volontiers porteurs; aléas et imprévus médicaux qui pourront perturber le tempo idéal des séjours, notamment chez les malades adressés pour évaluation diagnostique; concurrence des autres structures accueillant déjà ce type de malades en France et en Europe; montant exact et utilisation des recettes engendrées par l'accueil de cette clientèle.
"Un gain financier net" pour les hôpitaux
Pour sa part, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, le 20 mai lors de son discours inaugural des Salons de la santé et de l'autonomie, a voulu voir dans cette prise en charge VIP à Ambroise-Paré "un hommage formidable à la qualité du système hospitalier français. Et je veux dire que dès lors que l'accès de tous est garanti à notre système de soins, nous ne devons pas reculer devant cette réalité". Ce 22 mai dans une interview au Point, elle ajoute : "C'est donc un gain financier net pour nos établissements. Dès lors que cela n'affecte pas la prise en charge de tous les patients, pourquoi ne pas favoriser le rayonnement de l'excellence française ? Mais il n'est évidemment pas envisageable que la collectivité finance des caprices de star ou des demandes extravagantes de la part de ces patients." La veille de l'inauguration des Salons de la santé et de l'autonomie, le président de la FHF, Frédéric Valletoux, allait également dans le même sens que la ministre et le DG de l'AP-HP : "Si c'est une source de financement, je ne vois pas pourquoi il faudrait s'en priver". Missionné par le ministère de la Santé et celui des Affaires étrangères sur l'intérêt du tourisme médical, l'économiste Jean de Kervasdoué, ancien directeur général des hôpitaux, doit rendre prochainement son rapport.
Thomas Quéguiner
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