Donner une autre image de la communauté rom en lui offrant un média : c'est le pari que s'est lancé un jeune Rom de Macédoine, il y a un peu plus d'un an, en créant Sutka City TV, la première télévision « 100 % rom » de France. La chaîne pourrait connaître un regain d'audience en 2014 : le 1er janvier, la France, comme les autres pays de l'Union européenne, lèvera les dernières restrictions à l'entrée sur son territoire des travailleurs de Roumanie et de Bulgarie, les deux principaux pays d'origine des Roms.
A la tête de ce média communautaire, Andrijano Dzeladin, 33 ans, immigré en France depuis treize ans. Cheveux gominés, costume impeccable, un français parfait malgré un léger accent, il est aussi le présentateur vedette de la chaîne. Son idée : faire de ce média un « miroir » de la culture rom.
Sutka City TV diffuse des émissions culturelles, culinaires, et de la musique. Le tout en romani, la langue de la communauté. Elle a aussi son émission phare : un programme quotidien animé par Andrijano Dzeladin lui-même, diffusé en direct et conçu « comme un talk-show à l'américaine ».
Chaque soir, pendant une heure et demie, seul en plateau, assis derrière une grande table, le jeune présentateur reçoit les appels de téléspectateurs qui peuvent débattre à l'antenne de tous les sujets et passer des dédicaces. L'émission a même permis à des membres de familles qui s'étaient perdus de vue de se retrouver.
« PAS DE PLACE POUR VOTRE CHAÎNE »
La chaîne est disponible depuis 2012 sur le canal 550 de Free, depuis juin sur le canal 670 de SFR, et sur Internet. A terme, Andrijano Dzeladin aimerait que sa chaîne soit diffusée par tous les opérateurs. Le chemin à parcourir reste long. Il y a quelques semaines, il a reçu un courrier d'Orange : « Nous ne voyons pas de place pour votre chaîne dans notre offre. » Le coup a été un peu rude pour l'animateur. Sutka City TV est un peu son « bébé » – la chaîne est d'ailleurs née le 19 septembre 2012, le même jour que sa fille, Aylin.
Les vrais débuts de « sa » télévision remontent à 2010, le jour où il a assisté au démantèlement d'un campement rom juste « sous fenêtres ». M. Dzeladin habitait déjà en région parisienne et le hasard avait voulu que lui, Rom de Macédoine, se retrouve voisin de la misère à laquelle il avait voulu échapper dix ans plus tôt.
Ce n'est pas l'expulsion en soi qui le fait alors réagir, mais la façon dont elle est rapportée dans les médias : « Ils dressaient une nouvelle fois un portrait très réducteur des Roms », regrette-t-il. Depuis longtemps, il était très impliqué dans la défense de sa communauté. Mais cette fois, il a été excédé. Au point de décider d'« investir toutes économies dans le lancement de chaîne ».
Pourtant loquace, il se fait plutôt discret sur les financements de sa télévision. « En quatorze mois d'existence, j'ai dépensé entre 135 000 et 140 000 euros », lâche-t-il seulement. Il reste également évasif sur le nombre d'abonnés et accepte uniquement de donner le nombre de connexions par jour sur son site : 120 000.
« PETITE RADIO ENTRE POTES »
Avant de créer sa chaîne, ce trentenaire très sûr de lui a longtemps enchaîné les petits boulots. Il a été vendeur de tapis, serveur, chef de réception dans un grand hôtel. Loin des clichés, il n'a jamais vécu dans un bidonville. Avant de s'installer en France, il avait même créé « une petite radio entre potes » en Macédoine. Il n'avait alors que 14 ans et bricolait des cintres pour en faire des antennes.
A Paris aussi, pour développer son projet, il bricole. Ses studios sont installés dans un petit appartement du 19e arrondissement. Dans le salon, les murs ont été repeints en vert pour qu'on puisse incruster des décors dans les images. Les autres pièces servent de régie et de bureau. « C'est moi qui fais tout, raconte-t-il fièrement. Je m'occupe de la régie, de l'animation, de l'éclairage et même du téléphone. »
M. Dzeladin reçoit ponctuellement l'aide d'un de ses fidèles amis, et des membres de sa famille mettent la main à la pâte. Son fils Antonio, 14 ans, anime son propre programme, « Le rêve des enfants », une sorte de « Club Dorothée » où il reçoit de jeunes Roms vivant en France pour parler musique, poésie… Généralement, ce sont des jeunes issus de familles plutôt bien insérées. Son oncle, âgé d'une soixantaine d'années, est chargé d'une émission sur la vie quotidienne et la culture, « Traditions chez les Roms ».
« CRAINTE PARTAGÉE »
Donner à voir une autre vision des Roms « à travers l'image »,telle est l'obsession du patron de Sutka City TV. Campements illégaux, vols, délinquance, mendicité… il ne nie pas les problèmes créés par certains membres de sa diaspora, mais il « ne veut pas qu'on les mette tous dans le même sac ». « On a tendance à ne pas considérer la majorité des Roms, qui sont en fait invisibles », explique-t-il.
La plupart des téléspectateurs qui téléphonent lors de son talk-show quotidien sont médecins, avocats, enseignants, revendique-t-il. Par peur d'être stigmatisé, il a lui-même longtemps caché ses origines et se disait macédonien plutôt que rom. En cause, une « crainte partagée par la majorité de la communauté rom », selon lui. Pour ses proches, Sutka City TV a même été un déclic et le lancement de la chaîne les a décomplexés, jure-t-il. Une fierté retrouvée qu'Andrijano Dzeladin souhaite pouvoir réveiller en chaque Rom, en France d'abord, mais aussi « pour les 15 millions de Roms d'Europe ».
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