LE FAIT
Intervalles de lucidité et incapacité d'arbitrage, risques d'abus, responsabilité des soins... Devant le caractère évolutif de la pathologie Alzheimer, les malades, la famille, et le personnel soignant se confrontent rapidement à la complexité de la loi. Entre les différents outils destinés à la protection des patients et les nombreux obstacles juridiques, la loi se prend les pieds dans le tapis. Charlotte Robbe, avocate associée du cabinet BWG, fait le point.
L'ANALYSE
"La première phase de protection, lorsque tombe le diagnostic, c'est l'anticipation", lâche l'avocate. Pour lutter contre le risque d'inertie avant l'aggravation de la maladie, deux mécanismes juridiques existent : la procuration générale et le mandat de protection future (acte sous seing privé via formulaire Cerfa, ou acte notarié). "L'un comme l'autre pallient les carences futures du majeur, explique Charlotte Robbe. Ces outils lui permettent de concéder ses pouvoirs à des personnes bien identifiées, le tout en conservant sa pleine capacité juridique." À l'image de "dernières volontés", le mandat de protection future permet au malade de s'organiser en amont des vulnérabilités. Il décide donc de ce qu'il délègue.
Au-delà de la simple anticipation sur la forme que prendra la protection, la personne atteinte d'Alzheimer peut désigner son tuteur ou son curateur en amont de la mesure judiciaire. Cette possibilité, pour Charlotte Robbe, doit se comprendre par "l'état d'esprit de la loi de respecter la volonté des personnes. Ce faisant, la mise sous protection judiciaire est souvent mieux acceptée, moins subie, et moins intrusive".
Protection judiciaire, entre efficacité et rigidité de la procédure
Curatelle ou tutelle, "quand la vulnérabilité fait craindre des abus de l'extérieur, l'efficacité, d'après l'avocate, c'est la mesure judiciaire". Il s'agit de protéger les personnes contre elles-mêmes, et contre l'extérieur. Certes plus lourdes, ces mesures permettent de garantir la sécurité des plus faibles contre l'abus de faiblesse : les personnes résidant à domicile, en particulier celles sans famille. De fait, outre la possibilité d'un dépôt de plainte en cas d'abus de faiblesse, les actes réalisés par le malade peuvent être annulés.
Charlotte Robbe identifie cependant un défaut dans la conception du système actuel. "Lors d'un passage sous tutelle ou curatelle, la famille ou le médecin expert missionné par le parquet doivent établir un certificat médical circonstancié. Or, alors même que l'on sait certaines personnes vulnérables victimes d'abus, il est très difficile de déposer un dossier dans un contexte d'emprise par un entourage malveillant. Le médecin a beau passer pour dresser le certificat médical circonstancié, on ne lui ouvrira pas la porte. Et en l'état de la législation, le juge des tutelles considèrera la requête irrecevable". Dans ce contexte, la jurisprudence du juge du fond s'est développée pour contourner le problème. Les dossiers peuvent désormais être acceptés sous deux conditions : la rédaction d'un procès verbal de carence attestant des passages répétés du médecins au domicile du malade, et la présentation d'un faisceau d'indices justifiant la situation de vulnérabilité.
Le manque d'harmonisation des textes inhibe les initiatives
Si la loi semble bien huilée du côté de la protection du malade, Charlotte Robbe le concède, pour le personnel soignant, "c'est juridiquement compliqué". Entre les règles relevant du Code Civil et celles relatives au Code de la Santé Publique, les professionnels sont souvent perdus. L'avocate explique : "si l'on se réfère au Code de la santé publique, le principe absolu, c'est qu'aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement de la personne. Le principe d'autonomie inscrit au Code Civil autorise donc le majeur à prendre seul les décisions relatives à sa personne, même s'il est sujet à une mesure de protection. Par exception, le juge peut cependant décider que ce dernier soit représenté ou assisté sur les questions afférentes à sa personne." Dans ce cadre, le médecin doit donc prendre en compte le consentement du tuteur. Néanmoins, d'après le Code de la Santé Publique, les actes portant gravement atteinte à l'intégrité corporelle nécessitent quant à eux une autorisation du juge des tutelles. En cas de refus du tuteur ou du juge des tutelles, les médecins doivent malgré tout prodiguer les soins indispensables (article L1111-4, alinéa 4).
Devant un tel labyrinthe juridique, Charlotte Robbe déplore la frilosité de certains professionnels, qui préfèrent parfois attendre la décision du juge des tutelles avant d'agir. Aussi, l'avocate plaide-t-elle en faveur d'une harmonisation des règles. "Un chantier énorme" pour la femme de loi, mais indispensable. "Avec les frottements entre les notions juridiques inscrites au Code Civil et au Code de la Santé Publique, le personnel ne sait pas comment gérer les situations et les patients en pâtissent." Sans pour autant le refondre, Charlotte Robbe propose donc de reprendre ce droit pour le clarifier, notamment dans le Code Civil, où les textes relatifs à la protection de la personne sont très peu nombreux et très peu détaillés. "En s'assurant que tous les textes interagissent entre eux, on disposerait en conséquence d'une boîte à outils qui lèverait certainement les peurs des médecins et faciliterait la décision du juge."
Agathe Moret
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