Il y a ceux qui décollent soigneusement le papier. Ceux qui déchirent sauvagement l’emballage. Ceux qui secouent le paquet. Qu’on le place sous le sapin, dans l’assiette ou les souliers, qu’on l’achète à la dernière minute ou le planque pendant des mois, le cadeau de Noël, c’est tout un rituel. Un cérémonial familial tellement rodé qu’on le penserait ancré depuis des milliers d’années. Or, il date tout juste du XIXe siècle. Pire, toute cette tradition a été inventée. De quoi choper les boules ? Dans le Cadeau de Noël, histoire d’une invention (1), la sociologue Martyne Perrot conte à grands renforts de légendes, gravures, affiches des grands magasins l’émergence progressive de cette tradition qui touche toutes les sociétés occidentales. Si les «box» ont remplacé l’orange ou le ramasse-miettes (très en vogue au XIXe), le cadeau de Noël reste synonyme de fête. Déballage en cinq lettres.

F COMME FAMILLE

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la bourgeoisie en plein essor s’empare de Noël, fête jusqu’alors religieuse pour en faire une célébration de la famille. De nouveaux rituels s’instaurent comme celui du sapin, piqué aux Allemands. Les étrennes, présents qui s’offraient au Nouvel An, s’échangent désormais entre le 24 et 25 décembre. Et l’ouverture des cadeaux devient l’apogée de cette nouvelle fête centrée sur les enfants. Si Noël est bourgeois, il est aussi très conservateur. Déjà, les «joujoux par milliers» entretiennent la différence des sexes. «Sous ses airs innocents, le cadeau conforte l’apprentissage du rôle de mère et de maîtresse de maison dont l’exigence parcourt tout le XIXe siècle», relève Martyne Perrot. Aux fillettes, poupées, dînettes et nécessaires à couture. Aux garçons, chevaux à bascule, polichinelles, et bien sûr, arsenal guerrier. «Les guerres, de 1870 comme celle de 1914, provoquent une telle orgie de jouets belliqueux que le débit considérable des pistolets, sabres et fusils fit hausser le cours des métaux.»

E COMME ESPRIT DE NOËL

Ah, la grandeur d’âme des Quatre filles du docteur March ! Oh, le destin tragique de la Petite Fille aux allumettes. On ne compte plus les fables sociales pleines de bons sentiments, d’empathie et d’orphelins à béquille qui se déroulent cette nuit-là. La charité imprègne la littérature. Tout particulièrement, A Christmas Carol (un Chant de Noël) de Charles Dickens va jouer un rôle déterminant dans sa diffusion auprès des jeunes bourgeois. «Dans cet apprentissage de la philanthropie, Noël est un terrain privilégié pour faire éprouver, dès le plus jeune âge, la nécessité de la compassion et l’implacable distance sociale.» Car ce que l’on offre aux nécessiteux, ce sont des dons alimentaires, la fameuse mandarine ou le pain d’épices, ou un modeste jouet mais pas trop beau. «Il faut se garder de faire souffrir le petit malheureux en développant chez lui des goûts que ses parents ne pourraient satisfaire», précise la sociologue.

T COMME TRAÎNEAU

Une des caractéristiques du cadeau au pied du sapin, c’est son origine surnaturelle, magique, descendu du ciel, comme le roucoule Tino Rossi. Avant que le père Noël s’impose dans toute l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les cadeaux ont été distribués par des personnages qui diffèrent selon les régions, les religions et les traditions : fées, sorcières, saints, père Janvier, père Chalande et même enfant Jésus. Au début du XIXe, c’est le bonhomme Noël qui s’en charge. Mais il ressemble plus à un inquiétant colporteur qu’à un généreux donateur : un vieillard au teint blafard, maigre, vêtu d’une robe de bure et auquel il arrive encore «dans un très vieux réflexe d’emporter quelques enfants indisciplinés».

E COMME EXPLOITATION

Non, le cadeau n’a pas perdu son âme dans les rayons des supermarchés. Dès son apparition, il est commercial et se diffuse grâce à ses contemporains, les grands magasins, ces «nouvelles cathédrales du commerce». La Samaritaine, le Nain bleu, le Bon Marché se concurrencent à grand coup de vitrines animées, de sapins géants, de décorations, de catalogues débordants de soldats de plombs, de poupées de porcelaine et polichinelles. Et même la Première Guerre mondiale ne freine pas l’emballement commercial. En témoignent les réclames pour le catalogue du Bon Marché en 1916 titrées «Noël quand même», avec force enfants en uniforme de poilu. L’engouement ne faiblira jamais : «Même dans les périodes de crise, comme celle entraînée par le premier choc pétrolier des années 70, les Français ne renonceront ni aux bombances ni aux cadeaux», constate Martyne Perrot.

S COMME SENTIMENTAL

C’est la fonction de ce cadeau : attester de l’affection qu’on porte aux siens. Mais cet «art d’offrir» répond à des «règles invisibles», que chacun respecte sans qu’elles n’aient jamais été formulées. A la fin des années 70, le sociologue américain Theodore Caplow en a identifié quelques-unes. La première ? «La valeur économique est censée être proportionnelle à la valeur affective du lien de parenté.» Si l’enfant est le héros de la fête et qu’il est exempté d’offrir en échange, les cadeaux les plus chers se font au sein du couple. Les grands perdants ? Les grands-parents, qui gâtent le plus, mais ne récoltent guère. Pourtant, cet art du cadeau prend du plomb dans l’aile. A peine reçu, déjà revendu sur Internet ou échangé. Les cadeaux «utiles» ou d’argent bousculent les règles de l’échange classique. Et réinventent cette tradition.
(1) Ed. Autrement, octobre 2013, 170 pp., 15 €