Les fascistes s'interrogent sur l'opportunité de « tuer tous les gauchismes », non sans avoir déjà commencé à tuer quelques antisfascistes. Des millions de spectateurs approuvent à l'antique, du pouce et depuis leur fauteuil, l'exécution par un bijoutier, à Nice, de l'un de ces innombrables surnuméraires pour qui la perspective de la rapine est devenue plus accessible que celle de trouver un emploi. Les « quenelles » de Dieudonné distraient énormément les internautes, qui sont d'ailleurs quelques millions à goûter, au premier ou au second degré, ses louanges à Pétain. Une classe politique méprisée de tous brandit les Roms comme paratonnerre à la haine qui, tôt ou tard, doit s'abattre sur elle. Face au vent de crétinisation qui souffle par bourrasques sur le pays, il y a ceux qui se sentent dans leur élément, et ceux qui ont la nausée. Et ce qui monte en ce moment dans le pays, ce n'est pas centralement le fascisme, c'est centralement la nausée. Si cela se voit moins, c'est seulement que la nausée se prête moins à l'exposition sur les plateaux télé que le mensonge effronté.
Notre nausée, il ne s'agit pas de simplement la faire passer ou d'attendre qu'elle s'estompe sous l'effet d'une actualité moins irrespirable. Notre nausée est précieuse, car elle est à la fois sensible et politique, parfaitement intime et pleinement commune. Il convient de la faire parler, de lui arracher tout le magma de vérités qu'elle recèle. Et voilà ce qu'elle dit, notre nausée, pêle-mêle, quand elle ouvre la bouche. « Il n'y a plus rien... tout ce qu'on nous a dit, tout était faux... République ? même les nazis sont républicains, à présent... Liberté-Egalité-Fraternité ? gravé à l'entrée des prisons... Europe ? c'est bon, on a compris l'arnaque… La France ? costume grandiose pour un misérable petit désir d'extermination, qui monte, qui monte, qui monte... grand ramassis de frustrations séculaires… Le système politique ? davantage défunt que pourri... mauvais théâtre... scène vermoulue... radeau de la méduse... Et les politiques ?... font comme si de rien n'était... se bouchent le nez... espèrent que personne ne s'avisera du cadavre... que tout continuera comme avant, douillettement... et puis, révéler l'entourloupe serait dévastateur... elle est si simple... si ancienne... l'entourloupe... Reste la culture, le « débat intellectuel » alors ? Tout pipé, tout faux, tout ça... monde de prix et de poses… Et les valeurs ? ah, les Valeurs... de gauche, de droite, de la Bourse et du petit Jésus... « travail, famille, patrie »... tout ce qui est bien mort doit revenir, finalement, et revient, comme Valeur... comme spectre... que faire ?... toutes les raisons de se révolter sont là... devant moi... dans ma vie... et depuis longtemps déjà... pourquoi ne faisons-nous rien ?... sommes-nous si lâches?... si seuls ?... si rien ? »
Voilà ce que dit notre nausée, dans son monologue intérieur et permanent, en une seule minute. Nausée salutaire que la nôtre, qui permet de régurgiter le poison à mesure, le poison dont est saturé l' « espace public ». Notre silence n'est pas celui des pantoufles, mais celui du dégoût. Nous sommes la majorité nauséeuse.
Nous sommes légions, nous sommes partout, et nous sommes unis dans une commune répulsion. Nous sommes une force qui s'ignore, et qui s'est jusqu'ici offert le luxe de rester dispersée en l'absence de menace imminente. Au vu du dévalement supplémentaire du côté de l'infect dont chaque nouvelle campagne électorale est l'occasion, nous ne pouvons pas continuer d'assister tranquillement au naufrage. La supposée « montée du FN » témoigne seulement du degré de putréfaction de la politique classique : alternative de façade, le FN n'a jamais été que la négation de la politique sur le terrain même de la politique. Il ne constitue pas une menace pour « notre démocratie », mais un de ses plus purs produits. Au reste, s'il y a une chose qui achève de condamner et la politique et la démocratie, c'est leur compatibilité de fait avec le FN. Soyons logiques. Destituons la politique.
Réunissons-nous partout où nous sommes pour prendre en main la vie commune, dans notre quartier, dans notre village, dans notre boîte. Formons une multitude d'assemblées destituantes à même les territoires. Grévons les municipales - donner sa voix, c'est toujours se réduire au silence. Formons une conjuration publique qui soit la récusation en acte de la bêtise, de la vulgarité et du mensonge que l'on fait opportunément régner. Rencontrons-nous. Organisons-nous. Soulevons-nous !
Dernier ouvrage paru : Premières mesures révolutionnaires, La Fabrique, 2013
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