Elle voulait « soulager » leurs souffrances. Ludivine C., aide-soignante de 30 ans dans une maison de retraite près de Chambéry, a reconnu avoir empoisonné neuf pensionnaires de son établissement au cours des deux derniers mois. Six sont morts depuis début octobre. La jeune femme a été mise en examen et écrouée, jeudi 12 décembre, pour « empoisonnement et tentative sur personnes vulnérables ». Des faits passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. Mais les motivations de l'aide-soignante, qui avait perdu sa mère cet été au terme d'une longue agonie, demeurent mystérieuses.
« Le terme qui revient tout le temps, c'est "soulager", elle a dit qu'elle voulait les soulager, on n'arrive pas à savoir ce qu'elle entend derrière ce terme », a déclaré la vice-procureure de Chambéry, Dietling Baudoin.
A aucun moment la jeune femme, « cohérente » et « posée » durant son audition à la PJ, n'a évoqué l'intention de donner la mort. Elle a simplement reconnu avoir administré un « cocktail de psychotropes » à ces neuf pensionnaires, des octogénaires pour la plupart « en bonne santé, avec les fragilités liées à leur âge », mais qui n'étaient pas en fin de vie. Toute la difficulté consistera à déterminer s'il y a eu intention d'homicide. En d'autres termes : le dosage des psychotropes était-il de nature à provoquer une mort certaine ?
ANALYSES TOXICOLOGIQUES
Tout commence le 27 novembre, lorsqu'une pensionnaire de l'établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Le Césalet, à Jacob-Bellecombette (Savoie), tombe dans le coma. Agée de 84 ans, cette dame « allait plutôt bien physiquement et mentalement, en dépit de quelques difficultés à se déplacer », précise Guy-Pierre Martin, directeur de l'hôpital de Chambéry, dont dépend l'Ehpad. La vieille dame est aussitôt transférée aux urgences. Les médecins ne parviennent pas à identifier la cause du coma. Dès le lendemain, les analyses toxicologiques révèlent la présence de quatre psychotropes de prescription courante, dont un en surdosage. Aucun ne faisait partie de la prescription de la résidente.
L'hôpital alerte alors le parquet. La vieille dame meurt deux jours après son admission aux urgences. « Le personnel du service s'est alors souvenu d'autres cas suspects, un décès et deux malaises »,explique M. Martin. Selon une source proche de l'enquête, c'est en croisant ces cas avec l'emploi du temps du personnel que Ludivine C. a été « remontée », comme on dit dans le jargon. Elle reconnaîtra ensuite devant les enquêteurs cinq autres empoisonnements. Les autres victimes vont être exhumées pour être autopsiées.
LUDIVINE C. TRAVAILLAIT DEPUIS 2005 POUR L'HÔPITAL DE CHAMBÉRY
Comment l'aide-soignante a-t-elle pu détourner l'usage de ces psychotropes sans que personne ne s'en aperçoive, et pourquoi ces décès à répétition n'ont-ils pas alerté le personnel de l'Ehpad ? Selon le directeur de l'établissement, elle a sans doute prélevé ces psychotropes sur les chariots de service, ou en se servant dans l'armoire à pharmacie. « Ce sont des produits courants, on ne compte pas à la gélule », précise-t-il. Entre janvier et novembre, onze des 66 pensionnaires de l'Ehpad sont morts, contre huit sur la même période de 2012, une hausse qui n'est « pas significative sur le plan statistique », affirme M. Martin. Depuis début octobre, six pensionnaires de l'établissement sont morts, soit le nombre d'empoisonnements imputés à l'aide-soignante. Le directeur, qui ne connaît pas encore le nom de toutes les victimes et n'a donc pas pu contacter les familles, va porter plainte contre X.
Correctement notée par sa hiérarchie, Ludivine C. travaillait depuis 2005 pour l'hôpital de Chambéry, dans un autre Ehpad, puis au sein de l'unité de soins continus. C'est à sa demande qu'elle avait intégré Le Césalet au cours de l'été 2012. Un événement récent avait fragilisé la jeune femme. Elle s'était occupée de sa mère, emportée cet été par une longue maladie. Après cette perte, Ludivine C. avait sollicité des entretiens avec la médecine du travail. Le traumatisme provoqué par la mort de sa mère est une des pistes que devront explorer les enquêteurs.
Ces dernières années, d'autres cas d'empoisonnement ont été recensés, comme les affaires Bonnemaison (médecin mis en examen en 2011 pour l'empoisonnement de sept personnes), ou Malèvre (infirmière condamnée en 2003 à douze ans de réclusion pour l'assassinat de six personnes). Mais les personnes décédées étaient toutes en fin de vie ou atteintes de maladies incurables.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire