Mon fils, perdu dans le cyberespace
29 avril 2013
Le 4 avril, dans un communiqué de presse annonçant l’engagement du gouvernement en faveur du jeu vidéo, les ministres Fleur Pellerin, Aurélie Filippetti et Arnaud Montebourg y soulignaient l’importance de ce secteur pour l’avenir et l’image de la France. J’ai été envahie par un sentiment de colère, d’injustice. En effet, je me débats depuis plusieurs mois pour tenter d’enrayer la glissade de mon fils de 16 ans vers l’addiction. Nous avons tout essayé : logiciel de contrôle parental, mise sous clé de tous les ordinateurs de la maison, dialogue, sanctions, négociations, vacances dans le désert, présentation des formations supérieures liées au numérique, mais rien n’y a fait. Peu à peu, le jeu a pris toute la place. Aujourd’hui, mon fils est piégé, de manière bien banale. Rien à voir avec les cas qui font la une de l’actualité comme ces jeunes parents coréens qui ont laissé mourir de faim leur bébé en 2010, comme les hikikomori qui se laissent mourir de soif au Japon ou encore les adolescents américains qui ne font plus le distinguo entre leurs jeux et le réel et fusillent leurs proches ou des inconnus.
Le jeu a développé chez mon fils des aptitudes avec lesquelles je ne pourrai jamais rivaliser : multi-activité, concentration, collaboration, pensée sémantique. Il joue en équipe et parle anglais toute la journée avec ses partenaires internationaux. L’intensité du jeu et la quantité d’adrénaline qu’il procure sont largement supérieures à la vie quotidienne. Dans ces conditions, pourquoi continuer d’aller au lycée ?
Les méthodes et outils pédagogiques paraissent dater d’une autre époque pour ces jeunes. Ils transportent encore dans leurs sacs des kilos de livres, écrivent sur des cahiers, «font du par cœur» alors qu’ils ont l’habitude de vivre avec leur ordi ou leur tablette, de chercher les informations sur la Toile, d’apprendre sur des forums. D’ici quelques décennies, j’espère que ces deux mondes se seront rapprochés. En attendant, puisqu’ils s’ennuient au lycée, savent qu’il n’y a pas de travail pour eux, quel que soit leur niveau d’études, à quoi bon arrêter de jouer ?
Je partage pleinement le souhait du gouvernement d’améliorer la compétitivité du secteur du jeu vidéo. Les succès de la France en ce domaine sont hautement symboliques. Là où l’on attendait l’Amérique du Nord ou l’Asie, notre pays parviendrait à jouer dans la cour des grands. Mais cette politique doit s’accompagner d’un volet associant les ministres de la Santé et de l’Education. N’oublions pas les adolescents qui ne peuvent plus s’arrêter de jouer. Pour les contenter, certains cybercafés sont ouverts toute la nuit à Paris, sans restriction d’âge ou de durée. Des interdictions existent pourtant dans d’autres secteurs pour les mineurs (alcool, tabac, jeux d’argent). De nombreux pays ont restreint les zones d’implantation des cybercafés (notamment près des écoles), les âges, les horaires. Les établissements scolaires sont aussi démunis que les parents face à ce problème. Trop d’enfants jouent tard dans la nuit, arrivent en cours épuisés ou n’y vont plus du tout. Peu à peu, ils se désocialisent sans s’en rendre compte, dès lors qu’ils ont beaucoup d’amis virtuels. Les victimes, comme les alcooliques ou les drogués, ne se considèrent pas comme malades. L’hôpital parisien spécialisé dans les addictions (Marmottan) ne traite pas les jeunes de moins de 18 ans. Il renvoie vers un dispositif de la Croix-Rouge, le centre Pierre-Nicole, dont les méthodes sont exemplaires, mais où la liste d’attente témoigne d’une flagrante disproportion entre les moyens et les besoins. Les lycées, quant à eux, ne sanctionnent pas les absences, car ils savent qu’un renvoi ne peut que satisfaire ces enfants pour qui toute heure gagnée sur les cours, sur les repas ou sur le sommeil, est une réjouissance.
Pour éviter qu’une génération perde pied, il est urgent de mettre en place une véritable politique de prévention et de traitement, en concertation avec les établissements scolaires. Les parents comme les encadrants doivent savoir comment agir pour que ces enfants ne mettent pas leur avenir en danger et pour que la France soit fière d’être un des leaders mondiaux du jeu vidéo. Sortons d’un débat binaire qui donne aux parents un choix impossible entre censeurs ringards mais dépourvus de réels moyens de contrôle (les jeunes sont libres d’aller les uns chez les autres ou de transformer l’argent de leur déjeuner en heure de cybercafé) et parents modernes, censés pousser les jeunes vers les métiers du numérique.
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