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lundi 29 avril 2013

Qui décide ? Ni mon cerveau ni moi...

LE MONDE DES LIVRES | 
Il arrive rarement qu'on pense à Lord Gifford (1820-1887). Pourtant, de fortes raisons incitent à éprouver, envers ce gentleman, une réelle gratitude. Sa décision de léguer une partie de sa fortune aux quatre universités de l'Ecosse afin d'organiser des conférences annuelles, publiées ensuite, nous a valu, au fil du temps, une admirable brochette de travaux.
Parmi les intervenants récents, on remarque par exemple Vattimo, Chomsky, Nussbaum, Steiner ou Putnam, qui succèdent à Arendt, Aron, Toynbee, Bohr, Dewey et Whitehead, sans oublier Bergson ou Frazer... Excusez du peu !
Dans ce cadre, en 2009, s'est exprimé Michael Gazzaniga, l'un des grands spécialistes du cerveau, professeur à l'université de Californie. Son sujet, au premier regard, n'avait rien d'affriolant : que nous disent les neurosciences de la vieille querelle "déterminisme ou liberté" ? On craint évidemment un exposé hypertechnique, débouchant sans surprise sur le énième constat de décès du libre arbitre... Pas du tout ! Ce scientifique parle de manière vivante, accessible, parfois drôle, et il est diablement intéressant d'un point de vue philosophique. Car il dit tout autre chose que ce qu'on s'attend à entendre.


PARADOXE
Habituellement, on croit que les jeux sont faits. On constate l'absence de ce Moi souverain, source absolue de nos choix, dont les spiritualistes, autrefois, nous rebattaient les oreilles. Convaincu qu'il n'y a pas plus de volonté libre que de beurre en broche, on conclut donc que nos populations de neurones produisent cette illusion, et qu'en fait notre machine cérébrale est entièrement soumise aux chaînes causales de la physique et de la chimie, qui règlent seules nos actions. Bien que schématisé à l'extrême, ce résumé reflète une vulgate très répandue... que Gazzaniga conteste allégrement !
L'intérêt de ses analyses est de distinguer clairement entre l'émergence de notre esprit, entièrement dépendante de nos neurones, et son autonomie, liée à nos relations et interactions complexes avec les autres êtres humains. Produit par le cerveau, l'esprit serait en fait capable de le contraindre. Du coup, pour Gazzaniga, sans être "libres" au vieux sens du libre arbitre autocrate et autosuffisant, nous sommes cependant entièrement responsables de nos actes, même si l'univers dans lequel nous vivons est entièrement déterminé. La clé de ce paradoxe tient à un changement de registre : nous sommes "des gens" – humains en société, êtres parlants, sujets en relations – et pas simplement "des cerveaux". Et cette dimension proprement humaine nous singularise radicalement au regard de la nature, inerte ou animale.
D'un côté, voilà qui simplifie : pour expliquer mon choix d'un yaourt à la cantine ce midi, pas besoin de remonter au Big Bang... D'un autre côté, le jeu se complique pour la recherche scientifique : il lui faut en effet inventer un langage capable de rendre compte de différents registres de réalité, englobant aussi bien les particules élémentaires que les intentions conscientes. En tout cas, cette lecture est des plus stimulantes. Et Lord Gifford, à sa manière, est un bienfaiteur du genre humain.
Le Libre arbitre et la Science du cerveau (Who's in Charge ? Free Will and the Science of the Brain), de Michael S. Gazzaniga, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Kaldy, Odile Jacob, 270 p., 28,90 €.

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