Sans lits, l’Hôtel-Dieu accueillera les patients debout
3 avril 2013 à 20:46
Sur les 55 000 m2 actuels de l'Hôtel-Dieu (photo), les deux tiers accueilleront le siège de l’AP-HP. Le nouvel hôpital se développera sur le tiers restant. (Photo Lionel Charrier. MYOP)
«Libération» s’est procuré le rapport actant la future configuration de l’hôpital historique parisien, qui deviendra totalement ambulatoire.
«Un hôpital debout.» Jean-Marie Le Guen, député socialiste, mais, en l’occurrence, président du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), adore cette expression. Et il l’utilise sans retenue pour parler du «nouvel Hôtel-Dieu» à Paris.
«Debout» pour dire… «sans lits». Tel est l’hôpital du XXIe siècle, tout en ambulatoire : le patient vient le jour, se fait soigner, consulte, est opéré et, le soir-même, il rentre chez lui. Un changement de taille, d’autant plus symbolique que l’hôpital de l’Hôtel-Dieu n’est pas n’importe quel établissement : c’est le plus ancien hôpital de Paris, situé au cœur de l’île de la Cité, aux pieds de Notre-Dame. Pendant des siècles, il a été un refuge pour les indigents, il a brûlé au XVIIIe siècle, a été reconstruit, puis s’est peu à peu médicalisé. Depuis dix ans, son avenir est incertain. On parle de sa fermeture, puis de sa transformation. Et là, c’est donc la dernière ligne droite. Le départ de tous les lits d’hospitalisation a été acté, et cette semaine va être rendu public le rapport sur la configuration du nouvel Hôtel-Dieu, un travail demandé aux professeurs Jean-Yves Fagon et Pierre Lombrail, que Libération a pu se procurer.
«Haut de gamme»
«A l’Hôtel-Dieu, dans ces bâtiments historiques, maintenir des structures hospitalières classiques avec des lits, c’était impossible»,nous explique le professeur Fagon. «Les lieux ne s’y prêtent plus.»D’où le choix qui a été fait : d’abord, sur les 55 000 mètres carrés actuels, les deux tiers accueilleront le siège de l’AP-HP, installée aujourd’hui dans l’avenue Victoria voisine. C’est, de fait, une vaste opération immobilière qui s’enclenche : l’Hôtel-Dieu, bâtiment historique, n’est en effet pas vendable, alors que les locaux de l’avenue Victoria le sont. D’où ce jeu de chaises musicales.
Et c’est sur le tiers restant (entre 15 000 et 20 000 mètres carrés), que se développera le nouvel hôpital. Avec un volet soins et un volet santé publique. Trois points essentiels sont mis en avant dans le rapport. D’abord, il y aura une offre de secteur 1, ouvert à tous. Avec des consultations de médecine sans rendez-vous et des consultations spécialisées (cardiologie, pneumologie, VIH) et des examens très pointus, comme le conseil génétique. Toujours dans le volet soin, un gros département «dépistage et prévention» est prévu. «C’est l’hôpital de demain, ouvert à tout le monde, avec une sensibilité particulière auprès des précaires, des jeunes, et des vieux», insiste Jean-Yves Fagon. Ce sera le haut de gamme, avec, en radiologie, un scanner, un IRM, des endoscopies, le monitorage. On fabrique le premier hôpital universitaire, ambulatoire de Paris, avec un vrai plateau et une vraie pharmacie.» Au passage, l’unité médicale judiciaire est maintenue. Mais que deviendront les urgences, importantes avec plus de 40 000 passages par an ? «La décision a été prise de supprimer les lits, et de faire un centre ambulatoire d’urgence», explique Fagon.
Deuxième gros volet, un fort département de santé publique : une dizaine d’équipes de recherches vont venir «pour créer une masse critique». Plusieurs universités ont accepté de se rassembler sur ce lieu. Enfin, il y aura «une maison d’information des usagers». Tous les changements sont aujourd’hui validés. La plupart des services d’hospitalisation ont commencé à fermer, déménageant pour la plupart à l’hôpital Cochin, à deux kilomètres, et, fin mars, tous les lits de pneumologie ont été ainsi fermés.
L’ambiance était à la rébellion
Tout serait donc parfait dans le meilleur des mondes hospitaliers ? Pas tout à fait. Le soir du 28 mars, lors d’une réunion publique dans la salle des fêtes de la mairie du IVe arrondissement de Paris, on a débattu de l’avenir de l’Hôtel-Dieu. Près de 200 personnes étaient présentes. L’ambiance était à la rébellion. Et, d’un coup, une tout autre histoire émerge. Une lettre de 15 médecins des services des urgences est lue : «C’est le dernier appel d’une équipe épuisée, les conditions de travail sont actuellement insupportables, nous nous sentons harcelés, humiliés», écrivent-ils.
Un ancien chef de service, le professeur Zeitoun, prend la parole :«On nous parle d’hôpital debout, je ne comprends pas ce que cela veut dire. Un hôpital, surtout l’Hôtel-Dieu, c’est aussi fait pour accueillir les misères du monde. Comment le faire sans le moindre lit ?» Plus politique, le Dr Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et syndicaliste cégétiste : «Supprimer des lits, intra-muros, à Paris ? Mais c’est un non-sens. Il en manque. Aujourd’hui, les patients attendent des heures sur un brancard. Venez dire à mes patients qui sont dans les couloirs ce que c’est qu’un hôpital debout», lance-t-il aux responsables de l’AP-HP. Un autre médecin : «Un hôpital debout, c’est le personnel couché.» Un usager met les pieds dans le plat : «Si j’ai bien compris, l’Hôtel-Dieu va devenir un dispensaire.»Puis un responsable de l’association Aides s’inquiète «des silences du projet, sans explication économique».
Les responsables écoutent. Jean-Marie Le Guen se défend, bec et ongles : «Ce projet se fera. Nous allons créer de nouveaux liens entre l’hôpital et la ville.» «Je comprends qu’il y ait des questions, poursuit Mireille Faugère, directrice de l’AP-HP. Ce que nous voulons faire est quelque chose d’unique, de nouveau. C’est normal qu’il y ait des craintes.» Pour le moins.
Photo Lionel Charrier . Myop
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