"Police blues"
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Au bout de la route, la haute bâtisse, nichée entre la forêt et les champs, s'offre comme un havre de paix. Une halte vitale pour ces policiers venus reprendre pied après avoir sombré dans l'alcool ou la dépression. Et aussi un lieu d'écoute unique, à plus d'un titre. En effet, seul centre de soins en France, Le Courbat accueille chaque année quatre cents policiers venus panser leurs bleus à l'âme et confier leur détresse, face à un métier qui les a parfois poussés à l'extrême.
Avec une moyenne de quarante morts par an dans ses rangs, la police française compte l'un des taux de suicide les plus élevés en Europe. Signe d'un malaise d'autant plus profond qu'il demeure un tabou pour l'institution judiciaire. Question d'image, mais pas seulement... Ainsi qu'en témoigne le documentaire sensible et édifiant de Jean-Yves Cauchard, diffusé dans le cadre d'"Un monde en face", le magazine présenté par Carole Gaessler.
Durant deux mois, le réalisateur a suivi Christelle, Jean-Philippe, Christophe et Nicolas, qui ont accepté, parfois sous couvert d'anonymat, de témoigner sur cette "boutique des horreurs" et son lot de violences, d'accidents, de drames et de sévices auxquels rien ne les avait préparés et qu'ils affrontent presque quotidiennement sans soutien psychologique.
"DES MATRICULES"
Comme l'explique à mots comptés Christelle, encore hantée par les images des corps retrouvés juste après le crash du Concorde. "Pour l'institution, un flic ne peut pas craquer, il doit être surhomme", lâche-t-elle, amère. Sinon, c'est la mise à l'écart.
"On dit que la police est une grande famille, mais celui qui a des états d'âme devient vite un indésirable", renchérit Frédérique Yonnet, directrice du Courbat qui, avec ses équipes composées notamment d'anciens pensionnaires, aide ces hommes et femmes mal-aimés de la population, peu considérés par leur hiérarchie, à rompre avec la solitude, leur addiction (à l'alcool notamment), à mettre des mots sur leur souffrance, pour retrouver leur dignité.
En mal d'identité - "Nous ne sommes plus des flics mais des matricules", confie l'un d'eux -, ces policiers, qu'ils soient CRS, brigadier, ou gardien de la paix, pointent à travers leur hiérarchie les nouveaux modes de management intervenus après la mise en place, par Nicolas Sarkozy, de la fameuse "politique du chiffre".
A cet égard, les témoignages sur la façon d'atteindre quotidiennement les quotas de contraventions, d'interpellations et de gardes à vue sont édifiants. Une politique "du bâton et de la carotte" qui a fait des victimes de part et d'autre et a contribué à dénaturer un métier dans lequel, aujourd'hui, certains ne se reconnaissent plus tout à fait.
Jean-Yves Cauchard - (France, 2012, 52 minutes). Diffusion le mardi 9 avril à 20 h 35 sur France 5.
Christine Rousseau
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