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mercredi 10 avril 2013

A Bichat, on attend le départ des chefs de service pour caser les patients

LE MONDE | 



Aux urgences de l'hôpital Bichat, à Paris.
Aux urgences de l'hôpital Bichat, à Paris. | Julie Balagué pour Le Monde

Aux murs, du bleu et du rouge aident à hiérarchiser et fluidifier les demandes de soins en fonction de la gravité des cas. Dans les couloirs, aucun patient en attente sur un brancard... En cette fin d'hiver, alors que le pic de grippe s'achève, les urgences de l'hôpital Bichat, dans le nord de Paris, présentent les signes extérieurs d'un service modèle.
En coulisse, l'engorgement n'est pourtant jamais loin. "Dans le rouge six mois dans l'année et en difficulté le reste du temps, nous sommes arrivés à un point où la situation est intenable", tempête Enrique Casalino, le chef des urgences du groupe hospitalier universitaire Paris Nord-Val de Seine (HUPNVS), qui regroupe 5 établissements hospitaliers, dont Bichat. Dans ce dernier, en 2011, sur les 85 000 passages aux urgences, 17 500 ont donné lieu à des hospitalisations.
S'il juge ce service "proche du collapsus", c'est parce qu'il doit en permanence fonctionner à flux tendu. Chaque jour, il faut impérativement trouver des lits disponibles, à l'intérieur de l'hôpital comme à l'extérieur, pour libérer la zone tampon – l'unité d'hospitalisation de courte durée – de 24 lits des urgences. "Cette recherche nous pourrit la vie, explique-t-il. Pour les trouver, je dois sacrifier des aides-soignants et des cadres qui pourraient faire autre chose, notamment être auprès des malades." Une démarche quotidienne également chronophage pour les médecins.


"NÉGOCIATION PERMANENTE"
Le logiciel qui devrait permettre de visualiser les lits disponibles dans le reste de l'hôpital n'est pas toujours actualisé en temps réel. Certains jours, épaulée par une aide-soignante qui s'y consacre à plein temps, Ghislaine Duron, cadre supérieur de santé, est obligée de jongler avec deux téléphones pour appeler les services dans les étages afin de trouver des lits aux patients. "A chaque fois, c'est une négociation permanente. Les médecins ne sont pas arrivés, la visite n'a pas encore eu lieu..."
Les personnels des urgences de Bichat disent se heurter régulièrement au manque de transparence de certains services, réticents à accepter des patients âgés, polypathologiques ou qui ne sont pas autonomes, souvent par crainte qu'ils restent trop longtemps. "On ne peut pas imaginer un paquebot avec 28 capitaines propriétaires de leurs pontons, analyse Christophe Choquet, le chef du service des urgences de Bichat. Et puis nos patients sont trop lourds, trop âgés, trop typés. Ces patients-là sont compliqués à placer."
Son supérieur résume ainsi l'équation : "Le patient est jeune et "vendable", je le case dans l'hôpital. Il est vieux, je le mets dans la "zone tampon", et je le transfère le lendemain. On entend parfois : "ce sont vos malades". Ce ne sont pas "nos" malades, ce sont des patients qui doivent être pris en charge par le système de santé."
Conséquence : l'équipe doit souvent attendre 21 heures et l'absence des chefs de service pour "caser" des patients dans les étages. "La journée, il faut se prostituer pour avoir un lit. Alors la nuit, on bombarde", résume crûment Enrique Casalino.
Une pratique qui suscite l'agacement, voire l'ire, de certains responsables. " Ce qu'on découvre le matin, ce n'est pas admissible, estime Béatrice Crickx, la chef du service dermatologie à Bichat. On aimerait un respect dans les organisations." Pour elle, le placement des patients des urgences la nuit peut être "dysfonctionnant pour les équipes et pour les patients" et même "dangereux". Et de mettre en avant un taux d'occupation de ses vingt lits de 97,6 %, pour faire valoir que "non, il n'y a pas de lits cachés..."
A défaut de pouvoir trouver les places suffisantes au sein de l'hôpital, les urgences envoient une partie de leurs patients vers l'extérieur. Les autres hôpitaux publics et certaines cliniques privées jouent ainsi le rôle de soupape. "La gestion de l'aval, je ne l'ai réussie qu'avec les transferts dans d'autres établissements. Mais je trahis mes patients en les envoyant plus loin", déplore Enrique Casalino. Entre 5 à 10 patients sur 24 sont en moyenne transférés chaque jour vers l'extérieur. "L'été, on est sûr de boire la tasse parce qu'on n'a plus l'aval des cliniques privées...", déplore Ghislaine Duron.
Si rien ne change d'ici à l'été, Enrique Casalino promet que les chefs des urgences "démissionneront en bloc pour ne pas être complices de ce dysfonctionnement".

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