Notre cerveau bientôt appelé à comparaître ?
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Qui est le véritable Mel Gibson, celui qui prononce des propos antisémites sous l'emprise de l'alcool ou celui qui, redevenu sobre, se confond publiquement en excuses ? Qu'est-ce qu'un secret sur le plan neurobiologique ? Pourquoi les personnes dont le nom de famille commence par un J épousent-elles plus souvent que ne le voudrait le hasard un individu dont le nom de famille commence aussi par la lettre J ?
Voilà quelques-unes des questions, concrètes ou plus métaphysiques, auxquelles s'attelle le neuroscientifique américain David Eagleman, directeur du laboratoire Perception et Action au Baylor College of Medicine de Houston (Texas), dans son nouvel ouvrage, Incognito. Les vies secrètes du cerveau. Le pari, ambitieux, est plutôt réussi. Contrairement à bien des livres de vulgarisation sur les neurosciences, trop techniques et jargonneux pour un public non spécialiste, celui-ci se lit sans effort et avec le sourire. De chapitre en chapitre, Eagleman embarque son lecteur, grâce à un style simple et alerte, et un recours constant à des exemples, anecdotes et autres tests ludiques - réalisables au fil des pages.
MACHINERIE COMPLEXE
Ses théories sur le fonctionnement de cette machinerie complexe qu'est le cerveau sont parfois surprenantes, mais convaincantes. D'emblée, le ton est donné : comme le suggère le titre de l'ouvrage, cet organe travaille incognito. "La quasi-totalité des processus cognitifs échappe au contrôle de la conscience", martèle le neuroscientifique, qui explique bien comment notre perception du temps, de la vision et de l'audition sont des constructions mentales, créées à partir des données bien incomplètes qui parviennent au cerveau.
Dans un tout autre domaine, Eagleman démontre pourquoi, dans le cadre d'affaires criminelles, la culpabilité lui paraît une mauvaise question. Imaginez une sorte d'axe de la culpabilité, propose-t-il. Du côté coupable, il y a les criminels "normaux" sans lésion évidente du cerveau. De l'autre, des individus qui ont commis des délits et considérés comme non responsables du fait d'une pathologie cérébrale sévère (dégénerescence, tumeur...).
"CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES NEUROLOGIQUES"
"Aujourd'hui, nous ne sommes capables de repérer que les grosses tumeurs cérébrales, mais, dans cent ans, nous serons à même de déceler des choses, au niveau les plus profonds des microcircuits, qui expliqueront de nombreux problèmes comportementaux. La neuroscience saura mieux dire pourquoi les gens sont prédisposés à agir comme ils le font", souligne le chercheur.
L'argument de "circonstances atténuantes neurologiques" sera alors de plus en plus invoqué par les avocats, et davantage retenu par les jurés pour situer des accusés du côté non coupable. "Il est absurde que la culpabilité d'un individu soit déterminée par les limites de la technologie d'une époque", conclut-il. Sa proposition : faire évoluer le système juridique pour "fonder les décisions en matière de condamnation et de punition sur la neuroplasticité", c'est-à-dire la capacité à modifier les circuits de son cerveau.
Incognito. Les vies secrètes du cerveau,
par David Eagleman (Robert Laffont, 350 p., 21 €).
Sandrine Cabut
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