Le bon antidouleur fait mal au portefeuille
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |
Publiée en 2008, une étude américaine a fait le bonheur de ceux qui n'aiment pas le vin. L'expérience consistait à faire goûter cinq crus à des cobayes ne disposant que d'une seule information : le prix de la bouteille. Chacun d'eux, placé dans un appareil à IRM, devait noter la boisson pendant que les chercheurs mesuraient l'activation d'une zone cérébrale associée au plaisir. Tout le sel du test venait du fait qu'il n'y avait pas cinq vins différents, mais seulement trois. Des bouteilles bas de gamme étaient affichées deux fois, la première avec leur vrai prix (5 dollars), la seconde après une forte inflation (45 dollars), tandis qu'un grand cru (90 dollars) était lui aussi dédoublé, à la baisse cette fois (10 dollars). Au milieu venait une bouteille à 35 dollars. Et qu'arriva-t-il ? Le plaisir ressenti par tous les participants suivit exactement la courbe des prix : le picrate devint du bon vin et la dive bouteille une quelconque piquette. Preuve que le plaisir a un prix... ou que le prix donne du plaisir.
Toujours en 2008, une autre équipe a voulu expérimenter cet effet-prix sur un type différent de produit : les médicaments antidouleur. Publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), l'étude raconte comment, après avoir recruté des volontaires - rémunérés - par petite annonce, les chercheurs leur ont annoncé qu'ils allaient tester un nouvel analgésique bientôt mis sur le marché. Après leur avoir fait lire une brochure sur cet opioïde, les expérimentateurs expliquèrent à une moitié des cobayes que chaque comprimé coûtait 2,50 dollars tandis que l'autre moitié apprenait que le médicament avait été obtenu au rabais, pour 10 cents l'unité.
Afin de juger l'efficacité du produit, il fallait ensuite passer à la partie la plus amusante de l'expérience : faire souffrir ces braves gens avec des décharges électriques dans le poignet. Pour chaque candidat à la gégène, on établissait au préalable le seuil critique de résistance à la douleur et le voltage maximum à lui transmettre. Partant de 0 volt (V), l'expérience montait par paliers de 2,5 V et atteignit, pour les plus costauds, la barre des 80 V. Puis les participants avalaient leur analgésique. Avant de se reprendre une deuxième bordée de décharges. A chaque série, ils devaient évaluer le niveau de douleur qu'ils avaient atteint.
Résultat : 85,4 % des cobayes ayant reçu le médicament à 2,50 dollars ont estimé avoir moins souffert après avoir ingéré la pilule, contre 61 % dans le groupe à 10 cents. De plus, pour le premier groupe, la réduction de la douleur entre les deux séries était nettement plus importante que pour le second échantillon. Pour les auteurs de l'article du JAMA, cet effet placebo-prix peut expliquer pourquoi le public préfère les analgésiques chers aux traitements bon marché et pourquoi les patients qui passent d'un médicament vendu par une grande marque pharmaceutique à un générique jugent ce dernier moins performant. Ils concluent que l'étude de l'efficacité d'une molécule devrait aussi prendre en compte les conditions de sa future commercialisation. Le bon antidouleur est censé faire mal au portefeuille.
Je me suis permis de conserver un détail pour la fin. Lors de cette expérience, les chercheurs n'ont pas utilisé de nouvel analgésique mais... un placebo. Histoire de montrer qu'on pouvait soigner la douleur d'une électrocution avec simplement un prix. Du rien très cher en guise d'aspirine. A placebo, placebo et demi.
Journaliste et blogueur (Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)
Pierre Barthélémy
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire