Aldo Naouri : «Mais violez-la, monsieur»
En publiant l'interview de l'écrivain et pédiatre, le magazine «Elle» a provoqué la polémique, s'exposant à des accusation d'«incitation au viol conjugal»
«Prendre la vie à pleines mains» d'Aldo Naouri, entretien avec Emilie Lanez, Odile Jacob, mars 2013. - Photo DR.
«Stop à l’incitation au viol !» réclame une campagne de l’association Avaaz. Avec 2 819 signatures pour le moment, la pétition dénonce une interview d’Aldo Naouri, pédiatre et écrivain, publiée sur le site Internet du magazine Elle le 29 mars. Elle fait suite à un premier mouvement de protestation lancé par Gaëlle-Marie Zimmermann, sur son site Internet a contrario.
Qu’est-il reproché à Elle et Aldo Naouri ? D’inciter au viol dans l’entretien. Les quelques lignes de l’interview mises en cause sont les suivantes.
«Dans votre livre, vous évoquez ces mères entièrement dévouées et qui ne font plus l’amour après la naissance de leur bébé. Vous parlez d’une consultation où vous dites à un père devant sa femme : «Violez-la !» C’est choquant : le viol, y compris conjugal, est un crime condamné par le code pénal», demande-le magazine féminin. Aldo Naouri répond : «C’est évidemment une provocation ! J’étais devant un homme qui me disait : "J’en crève d’envie mais j’attends qu’elle veuille." Sa femme le regardait sans rien dire. J’ai dit en exagérant : «Violez-la !» C’était excessif mais c’était une manière de dire : allez-y, foncez, ça viendra bien ! D’ailleurs, à ces mots, le visage de la femme s’est illuminé!»
Pour Avaaz, «loin de démontrer que son propos relèverait d’un douteux troisième degré, Aldo Naouri persiste et signe en disant "allez-y, foncez, ça viendra bien".» «Si l’on peut admettre le droit de chacun à s’exprimer librement, il n’est pour autant pas tolérable que l’on puisse, en toute impunité, inciter au viol», juge pour sa part a contrario. «C’est exactement ce genre d’idéologie machiste - les désirs des hommes dominent : il faudrait donc forcer les femmes à céder à des demandes sexuelles pour qu’elles finissent par y consentir - qui fait le lit d’une culture extrêmement complaisante envers le viol conjugal», ajoute Avaaz.
Devant l’ampleur des réactions et commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, Elle s’est défendu. Le magazine féminin explique qu'«Aldo Naouri est un pédiatre iconoclaste et controversé, dont chaque livre provoque le débat». Il estime avoir fait son travail en l’interpellant sur cette question. «Est-il besoin de préciser que ces propos nous ont aussi choqués ? ajoute Elle. Lorsque nous interviewons une personnalité qui rapporte une telle anecdote dans son livre, même noyée au milieu d’autres propos, nous nous faisons un devoir de lui demander des comptes.»Les justifications de «Elle» et les excuses d'Aldo Naouri
Aldo Naouri est lui-même venu se justifier, jeudi. «Dans la mesure où mon propos a été extrait de son contexte et pris au premier degré, je le regrette et je le regrette profondément», a-t-il expliqué. «J’entends redire que je condamne, et j’ai toujours condamné le viol de la façon la plus radicale y compris le viol conjugal», précise-t-il.
Aldo Naouri, souvent qualifié de «réactionnaire» par ses opposants, s’est fait connaître pour sa défense de la place du père dans le couple, qu’il estime malmené par l’Etat providence et Mai 68. Son dernier livre, Prendre la vie à pleines mains, n’est pas un nouvel ouvrage théorique, mais un entretien réalisé par Emilie Lanez, journaliste au Point (l’interview publiée par Elle a été menée par Valérie Toranian, directrice du magazine et compagne de Franz-Olivier Giesbert, directeur de publication du Point).
Dans ce livre, il parle de sa jeunesse et de ses précédents ouvrages. Le passage incriminé, sur le viol conjugal, se trouve page 142. Il revient alors sur son livre Parier sur l’enfant, publié en 1988, où il dénonçait «les slogans de Mai 68 qui relèvent de la toute-puissance infantile». «Le père est là pour confisquer à l’enfant la mère toute disponible qu’il croit avoir et qu’elle veut être. Or, il ne peut le faire qu’en se comportant de la façon la plus égoïste qui soit», écrit-il. Dans la suite du paragraphe, il est difficile de percevoir le second degré réclamé par le pédiatre. «Moi, père et homme, dirait-il à la mère de ses enfants, ce soir, j’ai envie de toi et j’irai jusqu’au bout de mes envies», continue-t-il.
S’il admet dans son livre que cela «entre évidemment en collision avec un certain discours féministe», il en remet une couche : «A combien de couples que je recevais ne m’est-il pourtant pas arrivé de dire : "Mais violez-la, monsieur !" J’assume de l’avoir dit et de continuer de penser mon injonction comme convenable.» Il reconnaît ensuite que cela peut paraître «caricatural», mais «il faut bien de temps en temps forcer le trait». La journaliste qui l’interviewe change alors de sujet.
Mariage gay et finance internationale
Ce passage sur le viol n’est pas le seul point polémique de l’ouvrage. Si dans l’échange avec Elle, Aldo Naouri réclame son «silence tonitruant» sur la question du mariage gay, refusant de prendre position, il apparaît assez clairement dans Prendre la vie à pleines mains qu’il est contre. Il parle ainsi de «diktat de la théorie du genre» et explique que «nous allons remplacer le nom des liens aux parents en les simplifiant sous le vocable de parent 1 et parent 2». Si c’est factuellement faux, c’est également l’un des arguments préférés des antimariages gays.
Désignant sous le terme de «formule choc» «le mariage pour tous», il juge que les politiques «ne prennent pas garde au fait que ces bouleversements du langage se mettent au service d’une répression qui avance masquée, comme l’a remarquablement montré l’immense philologue Viktor Klemperer qui a montré combien les modifications qu’on a fait subir à la langue allemande ont largement contribué à convertir au nazisme l’ensemble du peuple allemand». Magnifique point Godwin.
Continuant sur sa lancée, il indique souscrire à l’opinion de «Pierre Legendre qui fait de notre société postmoderne une société "post-hitlérienne", cédant sans y résister, tout comme la précédente, à la pulsion de mort». Le juriste qu’il cite s’est lui plusieurs fois prononcé contre toutes formes d’unions gays. En 2001, dans un entretien au Monde, Pierre Legendre jugeait notamment qu’«instituer l’homosexualité avec un statut familial, c’est mettre le principe démocratique au service d’un fantasme. C’est fatal dans la mesure où le droit, fondé sur le principe généalogique, laisse la place à une logique hédoniste héritière du nazisme». Le silence tonitruant d’Aldo Naouri est donc plutôt parlant.
Enfin,se décrivant comme antilibéral et antilibertaire, il crée un lien direct entre l’élimination du père et la crise économique actuelle. Pour lui, la façon dont «on a malmené l’univers familial avec ses repères bien établis a abouti à la crise financière de 2008». Là, ça devient un peu compliqué, mais, si on a compris son raisonnement la «victoire du camp féminin sur le camp masculin»et la disparition supposée du père qui pose des limites ont entraîné un sentiment de toute puissance chez les enfants. Une fois adultes, ils sont donc devenus des financiers sans scrupules. S’il ne le dit pas, dans sa logique de pensée, si de plus en plus de couples lesbiens ont des enfants, sans père présent, cela paraît donc extrêmement dangereux pour la société. La crise, la finance internationale, le nazisme... Tremblez, familles innocentes.
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