Diversité, égalité, sexualité... Les manuels scolaires veulent se mettre à la page
LE MONDE |
En plein débat sur le mariage pour tous, c'est un chantier sensible que les éditeurs de manuels scolaires ont engagé : examiner comment les ouvrages aux mains des collégiens et des lycéens abordent les questions de diversité – diversité d'origines, entre hommes et femmes, et d'orientation sexuelle. Débusquer les éventuels clichés, interroger la justesse des représentations, pour mieux lutter contre les discriminations.
"Dans une société aux mutations de plus en plus rapides, il est illusoire d'imaginer que les questions sociétales n'irriguent pas l'école", explique Sylvie Marcé, PDG des éditions Belin et vice-présidente du Syndicat national de l'édition (SNE). "Evidemment que les questionnements qui divisent l'opinion nous atteignent", ajoute Pascale Gélébart, directrice de Savoir-Livre, association qui regroupe six éditeurs (Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et Nathan). "Mais notre démarche n'est en aucun cas militante, souligne-t-elle. Il s'agit de voir comment l'édition scolaire peut mieux tirer profit des apports les plus récents de la recherche."
Un premier bilan devait être rendu public vendredi 19 avril, au Palais-Bourbon, dans le cadre du séminaire "Egalité, diversité et République, de la recherche au manuel scolaire". Invitée d'honneur : la ministre déléguée à la réussite éducative, George Pau-Langevin.
Organisateurs : les éditeurs scolaires et le think tank République et diversité – un partenaire "engagé". Son président, Louis-Georges Tin, fondateur de la Journée mondiale contre l'homophobie, cofondateur du Conseil représentatif des associations noires de France, se félicite des "regards croisés instaurés entre chercheurs et éditeurs". C'est lui qui, durant plus d'un an, a cordonné avec les éditeurs le travail de décryptage d'une cinquantaine de manuels. A leurs côtés, une quinzaine d'universitaires et de chercheurs – de la neurobiologiste Catherine Vidal au professeur de sciences politiques Eric Fassin –, ont compulsé des centaines de chapitres.
"CE QUI COMPTE, CE SONT LES USAGES"
Pas d'impasses, pas de caricatures dans les livres de classe passés à la loupe dans trois disciplines : histoire, biologie et français. "Nos ancêtres les Gaulois... cela fait belle lurette qu'on n'en est plus là, ironise Louis-Georges Tin. Globalement, les manuels traduisent bien la diversité de la société, mais des lacunes subsistent. Et si des efforts ont été faits sur la question de l'égalité entre hommes et femmes ou sur celle de la diversité des origines, la problématique de l'orientation sexuelle est, elle, à peine évoquée."
Quelques lignes, un paragraphe tout au plus, distinguant l'"identité sexuelle" de l'"orientation sexuelle" dans des manuels de biologie de 1re L et ES : ça peut sembler peu. Et pourtant, cela a suffi à mettre le feu aux poudres à l'été 2011, quelque 80 députés réclamant leur retrait. Sans succès.
Si la France n'a pas connu de retrait de livres de classe depuis l'Occupation, les critiques sur leur contenu sont légion. Pour la première fois, la médiatrice de l'éducation nationale a été saisie, en 2011, de réclamations de parents concernant les programmes et les manuels – les deux étant souvent mêlés dans les esprits, ce qui ajoute à la confusion. "Le fait que la société civile, par l'intermédiaire des associations ou des élus, exerce sa vigilance sur des manuels s'est accentué depuis la fin de la seconde guerre mondiale", explique Laurence De Cock, fondatrice du collectif Aggiornamento histoire-géographie. Les manuels, conçus à partir des programmes, ont une totale liberté d'adaptation. Qui peut prétendre les caractériser idéologiquement ? On peut leur faire dire ce que l'on veut, conclut-elle. Ce qui compte, ce sont les usages qui en sont faits par enseignants et élèves. "
"VÉRITÉ HISTORIQUE"
Ces usages doivent-ils évoluer ? "Les universitaires de notre réseau veulent être des forces de proposition", répond Louis-Georges Tin, qui avance des "pistes" pour diversifier le corpus de ressources. Parmi les préconisations de son think tank figurent l'utilisation plus importante d'œuvres de femmes écrivains ou artistes, le recours plus fréquent aux textes tirés de la littérature francophone, une histoire coloniale "mieux intégrée", une réflexion sur l'homosexualité "non seulement en biologie, mais aussi en histoire et en français".
Côté éditeurs, on assure "se maintenir à bonne distance des objectifs militants". "En se rapprochant des chercheurs, on ouvre le champ des possibles, mais c'est à nous – et aux auteurs – de décider des contenus",insiste Sylvie Marcé, du SNE. Reste que l'initiative en inquiète quelques-uns. "Notre rôle est de nous rapprocher le plus possible de ce qui pourrait être la 'vérité historique', même si celle-ci ne convient pas à tout le monde, avertit un auteur. Ce n'est ni aux politiques ni aux groupes d'intérêts, qui confondent mémoire et histoire, de faire prévaloir leur vision de l'histoire."
Le travail d'introspection aura en tout cas permis aux éditeurs de se mettre en ordre de bataille pour l'évolution – attendue – des programmes. L'opacité avait marqué l'adoption des précédents textes, en 2005 au collège, en 2008 au primaire, et à partir de 2010 au lycée. Le ministère de l'éducation, dans le cadre de la "refondation" de l'école, a promis un changement de méthode. "Cela prendra du temps, prévient-on rue de Grenelle. Il faut que les personnels soient consultés, que le Conseil supérieur des programmes fasse ses propositions, que les éditeurs conçoivent les manuels." La ligne de mire : 2015.
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