Loi SRU : douze années de controverse
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Le projet de loi durcissant la loi "relative à la solidarité et de renouvellement urbain" (SRU), présenté mercredi 5 septembre par la ministre du logement, Cécile Duflot, et discuté au Sénat à partir du 11 septembre, était l'un des engagements de campagne du candidat François Hollande. Depuis son vote en 2000, cette loi a fait l'objet de vifs débats au Parlement.
Jusqu'à présent, l'article 55 de cette loi, le plus connu et le plus controversé, fixait à chaque commune de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) l'exigence de disposer, d'ici à 2020, de 20 % de son parc résidences en logements sociaux. Le nouveau texte prévoit notamment de porter ce taux minimal à 25 % d'ici à 2025. Pour Arnaud Bilek, enseignant en économie à l'université de Pau et des Pays-de-l'Adour, qui avait mené une étude statistique sur le sujet en Provence et en région parisienne, un tel dispositif est "unique au monde".
DES DÉBATS TRÈS DURS
Adoptée le 13 décembre 2000, la loi SRU fait partie des mesures emblématiques des années Jospin, au même titre que le Pacs ou les 35 heures. Louis Besson, président PS de la communauté d'agglomération de Chambéry et à l'époque ministre du logement, se souvient d'un texte qui "avait déchaîné les passions", voté au terme de"débats très durs". En mars 2000, le député du Val-de-Marne Gilles Carrez (UDF, devenu UMP), y voyait par exemple "un retour à l'urbanisme du Gosplan et à l'architecture du béton (...), un texte dangereux pour la qualité de vie et d'habitat des Français".
Louis Besson rappelle que ses détracteurs lui opposaient constamment l'article 72 de la Constitution disposant que "les collectivités s'administrent librement", oubliant, dit-il, la fin de la phrase : "dans le respect des lois de la République". Une lecture que validera le Conseil constitutionnel saisi par des parlementaires de droite.
UN PRÉCÉDENT AU DÉBUT DES ANNÉES 1990
La question de la mixité sociale était devenue un enjeu politique de premier ordre en 1990 après les émeutes de Vaulx-en-Velin, puis de Mantes-la-Jolie ou Sartrouville. En proposant d'instaurer un taux minimal de 20 % de logements sociaux, le gouvernement de Michel Rocard souhaitait apporter une réponse autre que répressive aux problèmes des banlieues.
Ce taux figure tout d'abord dans la loi Besson du 31 mai 1990 sur la mise en œuvre du droit au logement, puis en juillet 1991 dans la loi d'orientation pour la ville du premier ministre de la ville, Michel Delebarre. En 1993, la droite, de retour au pouvoir, détricote rapidement ce dispositif dont elle ne veut pas. "Il n'avait pas eu le temps d'être appliqué", regrette aujourd'hui Louis Besson.
En 2002, la droite, de nouveau aux manettes, ne parvient pas à réitérer ce retrait. En 2002, six sénateurs de droite proposent ainsi de transférer l'obligation à l'échelle intercommunale. "Le maintien s'est joué à quelques voix au Sénat, après l'intervention de Bernard Devert, le président-fondateur de l'association Habitat et Humanisme", explique Louis Besson.
L'INTERVENTION MÉDIATIQUE DE L'ABBÉ PIERRE EN 2006
Le 24 janvier 2006, à l'occasion de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi "portant engagement national pour le logement", l'abbé Pierre, âgé de 93 ans, se rend en fauteuil roulant au Palais Bourbon pour défendre l'article 55 de la loi SRU, menacé selon lui par des"amendements inacceptables" présentés par des députés UMP. "Si je suis là, cinquante ans après l'époque où j'étais parmi vous, si je suis venu, c'est que se trouve mis en question l'honneur de la France", déclare-t-il.
L'amendement de la commission des finances visant à assouplir cette règle, en appliquant le quota des 20 % de logement social au niveau de l'intercommunalité et non plus de la commune, sera retiré. "Cela a été le dernier combat de l'abbé", commente Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre. Son intervention a"stabilisé" la loi SRU, juge pour sa part Louis Besson.
En janvier 2007, le président Jacques Chirac, lors de ses vœux à la fonction publique, demande aux agent de l'Etat d'aider les élus locaux à"progresser vers la stricte application de la loi SRU", regrettant "les difficultés de certaines collectivités à [la] mettre en œuvre".
En février 2007, lors de l'examen du projet de loi instituant un droit au logement opposable, Yves Jégo, député UMP de Seine-et-Marne, reviendra pourtant à la charge en déposant, sans succès, un amendement demandant que les programmes d'accession sociale à la propriété soient inclus dans les 20 % de logements sociaux prévus par la loi SRU.
Les ministres du logement qui succéderont à Jean-Louis Borloo, Christine Boutin et Benoist Apparu, ne chercheront plus à revenir sur cet article 55.
UNE ÉVOLUTION SIGNIFICATIVE DES DÉPUTÉS UMP
En décembre 2010, interrogé par Le Monde à l'occasion des dix ans de la loi SRU, Jean Leonetti, député UMP des Alpes-Maritimes, maire d'Antibes et ancien opposant à la loi, reconnaît que "malgré ses imperfections, la loi a été un outil, un levier pour imposer la mixité sociale dans nos communes". "Il y a eu des prises de conscience remarquables de la part de certains parlementaires, admet aujourd'hui Louis Besson. Je sens que les derniers réfractaires ont adopté une attitude positive."
Christophe Robert se félicite lui aussi que la loi SRU soit "rentrée dans la culture commune". "Le discours caricatural a pris du plomb dans l'aile, dit-il. Il y a eu progressivement une acceptation collective assez étonnante de construire des logements sociaux. Lors d'un récent débat avec Eric Raoult [député UMP de Seine-Saint-Denis, farouche opposant au texte], celui-ci reconnaissait avoir doublé sa production de logements sociaux."
François Béguin
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