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dimanche 21 janvier 2024

Le rêve de Macron : réarmer la France en faisant des bébés

Publié le 20/01/2024

La formule martiale est un des (nombreux) péchés dialectiques de notre Président de la République. Après l’inoubliable « Nous sommes en guerre » décrété pour évoquer la pandémie de SARS-CoV-2, il a sonné mardi soir l’heure du « réarmement démographique ». Bien sûr, l’expression n’a pas manqué (comme il y a quatre ans) de faire gloser. Certains élus situés à la gauche de l’échiquier politique y ont vu un parallèle avec le scénario de la « Servante écarlate », une dystopie où pour inverser une courbe démographique très inquiétante, les femmes ne sont évaluées qu’à travers les capacités de leur utérus.

Exceptions historiques françaises

Mais si l’on veut oublier la dialectique (pourtant signifiante), la question de la natalité est (et c’est un truisme que de le mentionner) essentielle. En France, elle a souvent emprunté des chemins singuliers par rapport à ses voisins européens. Notre pays a par exemple au XIXème siècle était le premier à amorcer la transition de la fécondité (c’est-à-dire le passage d’une fécondité « naturelle » à une fécondité « dirigée ») bien avant ses voisins, comme le faisait remarquer cette semaine le rédacteur en chef d’Hexagone News, François Valentin. Les raisons de cette spécificité ne sont pas parfaitement élucidées (même si le rôle de la Révolution française est souvent évoqué). Plus récemment, la France a longtemps été considérée comme la « championne de la fécondité », quand déjà de l’Allemagne à l’Italie en passant par la Belgique ou l’Espagne, le nombre d’enfants par femme était passé sous la barre des 2. Mais cette exception française n’est plus et si l’inquiétude est plus marquée encore qu’ailleurs c’est que notre système social repose sur une natalité vigoureuse. « La question de la démographie est la question même de l’avenir du pays. C’est vrai pour tous les pays du monde, mais la France est particulièrement concernée parce que notre contrat social est entièrement fondé sur notre capacité démographique. Tous les autres pays du monde anglo-saxon se fondent sur la loi du chacun pour soi. L’éducation, la santé, les retraites ou le chômage sont payants et fonctionnent comme des assurances. En France, nous avons choisi un modèle qui est formidable d’inspiration : le « tous pour un », la solidarité universelle. C’est l’État qui garantit l’éducation, la santé, les retraites, le chômage. Mais tout cela n’est viable que parce qu’il y a, pour payer les cotisations et les impôts, suffisamment de contributeurs pour financer l’effort de solidarité. Dès l’instant où la base de la pyramide se rétrécit, il devient impossible de maintenir ce système, et son principe d’organisation s’effondre », rappelait il y a quelques semaines dans la Croix, le Haut-commissaire au plan, François Bayrou.

Le rôle certain des politiques familiales

Dès lors, Emmanuel Macron ne pouvait que faire de cet enjeu une priorité. Pour l’heure, le choix des armes demeure encore assez flou. Cependant, le Président de la République a, pour l’instant mis l’accent sur une transformation du congé parental. « Quelles que soient les modalités de ces dispositifs, il ne faut pas en attendre de miracle. Les politiques familiales peuvent infléchir les tendances, rarement les inverser. Le choix de faire un enfant reste, pour une grande part, du ressort de l’intime, et l’aboutissement d’une décision individuelle », analyse pessimiste (?) un éditorial du Monde cette semaine. « La natalité n'est pas que le fruit d'une liaison entre deux individualités, mais l'aboutissement d'une histoire nationale et collective. Seule une politique familiale ambitieuse peut relancer notre natalité. Notre pays fut à l'avant-garde dès les années 1930 avec le premier Code de la famille, puis en 1945 avec l'instauration du quotient familial. Mais, par aveuglement dogmatique, la gauche a renoncé à l'universalité des allocations familiales. La politique familiale ne peut toutefois être perçue uniquement sous le prisme social et redistributif » conteste dans La Tribune l’élu de l’Essonne, François Durovray.  De fait, des exemples récents ont montré l’influence claire des politiques familiales. Une étude publiée en 2023 dans la revue Demography par une chercheuse de l’université de Washington (!), Nelly Elmallakh montre sans ambiguïté que le conditionnement des allocations familiales au revenu des ménages décidé en 2014 a participé à un recul de la fécondité des ménages les plus aisés. Faisant écho à cette analyse, Jacques de Larosiere (ancien gouverneur de la Banque de France, ancien directeur général du FMI), Gérard-François Dumont (professeur émérite, président de la revue « Population & Avenir ») et Alix Pany (directrice solidarités du Fonds du bien commun) observent dans une tribune publiée au lendemain de l’intervention du chef de l’Etat dans Les Echos : « La natalité française était le résultat d'un équilibre entre une politique d'universalité de la contraception, donc de la possibilité pour chaque femme ou chaque couple de choisir de ne pas avoir d'enfant ou d’enfant supplémentaire, instituée par l'Etat au fil des lois (1967, 1975, 1983), et, en contrepoint, une politique familiale transpartisane dont les acquis étaient globalement maintenus au fil des alternances politiques : universalité des allocations familiales, quotient familial, lisibilité des moyens des communes pouvant déployer des politiques familiales municipales pérennes… Cette balance s'est largement déséquilibrée au milieu des années 2010 : fin de l'universalité des allocations familiales (2015), baisse continue du quotient familial, politique malthusienne du logement (attestée par une baisse très importante des mises en chantier), baisse de l'indemnisation du congé parental couplé avec de fortes contraintes, diminution ou gel des dotations des collectivités territoriales entraînant la chute des investissements dans les systèmes de garde des enfants, etc ». Agir sur les politiques familiales apparaît donc probablement indispensable (et en particulier dans un contexte d’inflation). « Le désir exprimé d'enfant des Françaises est bien au-dessus de l'indice de fécondité : près de 2,3 enfants (étude Kantar 2023). Pour inverser la tendance, la clé réside donc dans la confiance des familles », martèlent les trois auteurs de la tribune publiée dans Les Echos

L’enjeu du congé parental

Le congé parental est-il le meilleur des leviers ? En partie, si l’on en croit l’analyse de Rachel Silvera, maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre publiée sur le site Alternatives économiques : « Le congé maternité prévoit des indemnités journalières inférieures au salaire que touchaient les femmes avant leur départ en congé maternité. (…) Vient ensuite la question épineuse du mode d’accueil, toujours défaillant pour les enfants de moins de 3 ans et dont le coût reste élevé. 56 % des enfants sont gardés principalement par leurs « parents », la mère dans la grande majorité des cas. Et pour 20 % d’entre elles, c’est faute de mode de garde à un coût supportable. Cette dernière situation concerne surtout les femmes aux revenus modestes. Elles acceptent donc souvent de prendre le congé parental, qui offre une prestation (la Prepare) de seulement 428 euros par mois. Un tel montant dissuade notamment les pères, qui ont souvent le salaire le plus élevé du couple. Cette situation est d’autant plus regrettable que la dernière réforme de ce congé visait précisément à pousser davantage de pères à prendre un congé parental. Lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron a confirmé le projet du gouvernement de créer un nouveau « congé de naissance ». Il devrait être plus court (six mois au lieu de trois ans aujourd’hui donc moins onéreux pour la collectivité), mieux rémunéré, et est censé être plus incitatif au partage entre pères et mères. Les attentes autour de cette réforme sont importantes car l’enjeu financier de la maternité pour les femmes est durable».

Familles nombreuses, familles heureuses ?

Les politiques familiales peuvent, on le sait, avoir une influence certaine sur le choix des familles à avoir plusieurs enfants. Le démographe Hervé Le Bras, commentant les derniers chiffres de l’INSEE (qui acte le « baby crash » de l’année 2022), remarque : « Cela signifie une chose : le modèle français, qui a été fondé à partir du baby-boom sur une sorte de refus de l'enfant unique, est terminé. C'était la grande propagande dans l'entre-deux-guerres, qui consistait à dire que l'enfant unique s'ennuie, ne se socialise pas, etc. Il y a toute une littérature là-dessus. Le baby-boom a été non pas la disparition mais la diminution très nette de ces familles avec un enfant. Je pense qu'on est en train de rebasculer vers ce modèle-là. Il continuera à y avoir des familles de deux enfants, de trois enfants, mais les familles d'un enfant vont se généraliser ». Mais cet enfant unique pourrait être un choix contraint. François Bayrou (père de quatre enfants), cite « Une donnée est encourageante : quand on interroge les parents sur le nombre d’enfants qu’ils ont, et combien ils aimeraient en avoir, ils veulent toujours – en moyenne – en avoir un de plus. Ceux qui en ont un disent qu’idéalement ils en voudraient deux, ceux qui en ont deux en voudraient trois, etc. C’est un potentiel extraordinaire ». Dès lors, certains invitent à se concentrer sur cette question des familles (presque) nombreuses. « D'autres solutions peuvent être explorées, notamment des dispositifs supplémentaires à partir du deuxième ou du troisième enfant. Ou encore des mesures ciblées selon les territoires ou catégories socio-professionnelles au déclin démographique le plus prononcé, sans aller jusqu'à une complexité administrative excessive » (dont la France a le secret), complète le spécialiste de géopolitique Aurélien Duchêne dans une tribune publiée par le Figaro.

N’attendez pas… au moins pour y penser !

Mais bien sûr, comme le remarque, un brin fataliste, Le Monde, les politiques familiales resteront en partie impuissantes, face aux autres raisons profondes de la baisse de la fécondité… et de la fertilité. Les Français peuvent-ils seulement encore avoir des enfants ? Même si le glyphosate (ciblé dans de nombreux tweets cette semaine) n’est (cette fois-ci) pas en cause (une telle nocivité de cet agent toxique n’a jamais été mise en évidence), on sait que les consultations pour troubles de la fertilité n’ont cessé de progresser ces dernières décennies. Le Pr Samir Hamamah, auteur d’un rapport remis au gouvernement sur ce sujet, et qui appelle de ses vœux la création d’un « Institut national de la fertilité », comme il l’évoque dans les colonnes du Quotidien du Médecin, note que parmi toutes les propositions qu’il a formulées, celles concernant la recherche sont pour l’heure celles qui ont le plus retenu l’attention. « Dans le cadre de « France 2030 », l'État a accordé 30 millions d'euros intégrés à un PEPR accélérateur (programme et équipements prioritaires de recherche, NDLR) autour de deux axes : fertilité et endométriose. (…) L'appel d'offres à projet concernant ce PEPR devrait être lancé le 29 janvier. Cette enveloppe a été partagée entre la recherche sur la fertilité (14 millions d'euros), celle dédiée à l'endométriose (11 millions d'euros) et une étude de cohorte (5 millions d'euros) », explique-t-il. De fait, mieux connaître les causes d’infertilité et les raisons de leur progression est indispensable. On sait cependant, qu’une des causes majeures, est, simplement l’âge. Aujourd’hui, les femmes ont en moyenne 29 ans lorsqu’elles accueillent leur premier enfant, contre 23 ans en 1974. Ce retard a une incidence quasi mécanique sur la fertilité et la fécondité, mais également sur la possibilité de dépister et de soigner d’éventuelles pathologies. La prise en charge de ces dernières est longue et donc le succès pourra être d’autant plus espéré si les démarches sont entamées assez tôt. Or, une récente étude de l’INED signale que le recours aux traitements de l’infertilité est de plus en plus tardif. Bien sûr, cela a beaucoup été dit, l’allongement des études, la volonté d’asseoir sa carrière et les difficultés économiques (de fait inférieures à celles du début du XXème siècle) favorisent le fait de décider à un âge plus avancé qu’auparavant de fonder une famille. Cependant, comme le note le Pr Samir Hamamah, il demeure une forme de méconnaissance des effets de l’âge sur la fertilité et sur l’efficacité des traitements et des techniques de PMA. Là encore, le politique peut agir, grâce à des campagnes d’information bien menées ou en facilitant encore la congélation d’ovocytes… et en permettant également aux équipes l’accès aux techniques les plus innovantes et les plus performantes.

Désarmement du désir

Cependant, l’infertilité en progression (pour des raisons médicales ou sociales) n’explique pas à elle seule la baisse de la natalité française. D’ailleurs, la PMA répond à une partie importante des difficultés des familles en mal d’enfant. Ainsi, « Huit années après le début du traitement par FIV, 71 % des couples ont réalisé leur projet parental : 48 % sont devenus parents grâce à la FIV ou un autre traitement médical, 11 % sont parents grâce à l’adoption d’un ou plusieurs enfants, 12 % sont devenus parents naturellement après des années d’infécondité », nous enseigne une autre étude de l’INED. Parallèlement, de façon manifeste (et sans solution économique ou sociale) progresse l’absence de désir d’enfant. Les raisons en sont très nombreuses. Les discours féministes ont permis de démystifier l’idée que le bonheur féminin passerait inévitablement par la maternité, ce qui est sans conteste une évolution « libératrice ». Mais parallèlement, certains discours féministes en généralisant les expériences les plus douloureuses ont peut-être également contribué à dresser un portrait injuste de la famille et des relations amoureuses, en particulier hétérosexuelles, etc.

Bayrou s’en va-t-en guerre

Plus généralement, une forme de « catastrophisme », pour reprendre le terme de François Bayrou, s’est infiltré dans tous les discours (notamment mais pas seulement écologiques), favorisant un sentiment de déclinisme et peut-être d’aquoibonisme. François Bayrou s’emporte : « Nous devons considérer que notre destin se joue dans la reconnaissance de l’autre, dans la création de nouvelles idées, de nouveaux concepts, de nouvelles techniques… des épanouissements nouveaux. Aujourd’hui, un certain nombre de responsables se complaisent dans l’idée qu’il faudrait revenir à un passé lointain, ou abandonner notre développement. Cette onde négative, ce discours catastrophiste qui se propage dans le pays, est probablement l’une des causes de l’effondrement démographique (…). L’écologie ne peut pas simplement consister à déplorer ce que nous sommes et, parce que l’on croit que les ressources sont finies, à tenir une ligne malthusienne, qui a pour conséquence d’écraser l’instinct de vie de l’humanité. Laisser croire que la survie de la planète est liée à la disparition ou à la raréfaction des êtres humains entraînera inéluctablement l’effondrement de l’envie de vivre et la chute de notre civilisation ». La gestion de l’épidémie de Covid a, à cet égard, pu cristalliser un phénomène qui rampait déjà : certains éditorialistes remarquent dans Les Echos que l’hiver démographique que connaissent les pays industriels semble s’être « accéléré », depuis la crise sanitaire mondiale. Ce n’est pas uniquement l’instabilité économique provoquée par la crise, mais c’est la constatation que ce qui était considéré comme inaliénable (l’éducation, la liberté de circulation, la liberté de certains choix…) a pu être considéré comme complètement négligeable en quelques heures qui a pu accentuer un état de désabusement chez beaucoup. Ceux qui ont ainsi fait la guerre au Covid (et les gouvernements d’Emmanuel Macron n’auront pas été les plus martiaux) pourront-ils lutter contre ce désarmement du désir… désir que d’autres guerres bien plus concrètes et meurtrières ne semblaient pas avoir autant altéré.

François Valentin, https://twitter.com/Valen10Francois/status/1747610484705046750

François Bayrou : https://www.la-croix.com/france/Francois-Bayrou-Le-discours-catastrophiste-lune-causes-leffondrement-demographique-2023-09-28-1201284582

François Durovray : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-natalite-n-est-pas-un-tabou-mais-un-atout-francois-durovray-982453.html

Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/18/baisse-des-naissances-un-defi-pour-notre-modele-social_6211557_3232.html

Nelly Elmallakh, Fertility and Labor Supply Responses to Child Allowances: The Introduction of Means-Tested Benefits in France

https://read.dukeupress.edu/demography/article/60/5/1493/382373/Fertility-and-Labor-Supply-Responses-to-Child

Jacques de LarosiereGérard-François DumontAlix Pany :https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-la-chute-de-la-natalite-est-un-probleme-grave-il-faut-y-repondre-2046857

Rachel Silvera : https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/baisse-de-natalite-une-tendance-beaucoup-cout-de-mat/00109368

Hervé Le Bras : https://www.tf1info.fr/societe/interview-la-fin-du-modele-du-baby-boom-la-chute-historique-de-la-natalite-sous-l-oeil-d-un-demographe-herve-le-bras-2282919.html

Aurélien Duchêne : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-baisse-de-notre-natalite-menace-aussi-les-fondements-de-la-puissance-francaise-20240117

Samir Hamamah : https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/gynecologie-obstetrique/pr-samir-hamamah-auteur-du-rapport-infertilite-remis-au-president-tous-les-professionnels-de

Un recours aux traitements de l’infertilité de plus en plus tardif :https://www.ined.fr/fr/actualites/presse/un-recours-aux-traitements-de-linfertilite-de-plus-en-plus-tardif

Les FIV en France : quel taux de réussite : https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/les-fiv-en-france-quel-taux-de-reussite/

Aurélie Haroche (mère de trois enfants et sœur de 4 frères)

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