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dimanche 21 janvier 2024

CheckNews Exposition des enfants aux écrans : un comité d’experts aux profils variés et aux «positions diverses»

par Jacques Pezet et Vincent Coquaz   publié le 17 janvier 2024

Emmanuel Macron a annoncé mardi 16 janvier qu’il avait réuni une commission sur l’usage des écrans par les jeunes. Elle regroupe des profils qui n’ont pas le même discours sur le sujet.
 

Emmanuel Macron veut-il désarmer la Pat Patrouille ? Afin de «reprendre le contrôle de nos écrans», le président de la République a annoncé mardi soir, lors d’une conférence de presse exceptionnelle, qu’il avait réuni une commission composée des «meilleurs experts»qui «détermineront le bon usage des écrans pour nos enfants». Il a précisé que ce groupe, rassemblant «des épidémiologistes, des cliniciens, des sociologues» rendra «ses travaux fin mars» afin «d’établir un consensus scientifique». Le groupe a pour mission de démontrer l’impact des écrans sur les enfants et adolescents, et surtout d’indiquer «le bon usage» pour «accompagner les familles».

Qui compose cette commission réunie début janvier ? Contactée par CheckNews, l’Elysée nous a transmis la liste des dix experts réunis sur le sujet – qui ne compte aucun sociologue. La commission est coprésidée par le psychiatre addictologue Amine Benyamina, également chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital universitaire Paul-Brousse. Ainsi que par la neurologue et neurophysiologiste Servane Mouton.

Le premier s’était déjà vu confier une mission relative aux «conduites addictives chez les jeunes» par l’ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau, notamment axée sur l’alcool, le tabac et le cannabis. Il ne s’est pas beaucoup exprimé publiquement sur la question des écrans. Si ce n’est à la sortie du confinement, avec des propos nuancés : «Consommer du numérique ne fait pas des personnes droguées. L’addiction au numérique est une perte de toute liberté de s’abstenir, ce qui n’est pas le cas de la majorité des gens», conclut Amine Benyamina.

Ondes alpha

Dans son discours public, axé quasi exclusivement sur le numérique, la neurologue Servane Mouton se montre plus alarmiste et tire régulièrement la sonnette d’alarme sur les dégâts causés par les écrans, notamment sur la santé physique et mentale des plus jeunes, dans des conférences ou par voie de presse.

Quitte à parfois exagérer ou ne retenir que les études qui vont dans son sens ? Récemment, CheckNews s’était ainsi penché sur une de ses déclarations, où elle estimait que «le lien entre jeux vidéo violents et comportements agressifs est établi». Comme nous le rapportions, les études sur «l’association entre le fait de jouer à des jeux vidéo présentant du contenu violent et la violence physique» parviennent en fait «à des conclusions divergentes», et il n’existe pas de consensus scientifique sur la question.

Deux autres scientifiques viennent compléter le comité. Grégoire Borst est professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation, et directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant au CNRS. Interrogé par CheckNews dans le cadre d’une série d’articles sur l’éducation positive, le chercheur s’agaçait de certaines positions simplistes sur les écrans. Et en l’occurrence, celles de la psychothérapeute Isabelle Filliozat, qui explique dans ses ouvrages que «regarder la télévision met le cerveau en ondes alpha, l’enfant se sent détendu. […] Il éprouve du plaisir à regarder. Son cerveau sécrète des opioïdes. Lorsque vous éteignez le poste de télévision, le taux de peptides opioïdes chute brutalement et active les centres de la douleur. D’où la crise.» Mais «le fait que des ondes alpha émergent veut simplement dire que l’enfant est détendu», expliquait à CheckNews le chercheur. «Tout dépend de ce à quoi il est exposé. S’il est devant un film qui lui fait peur, tout ce qui est décrit ne tient plus. Donc c’est bien le contenu qui explique la réaction de l’enfant et l’activité cérébrale associée. Pour les neurotransmetteurs, cela ne relève pas d’une étude chez l’enfant mais de modèles animaux qui ne sont pas exposés à la télévision», poursuivait-il.

Résultats rassurants

Jonathan Bernard a de son côté dirigé une équipe de recherche au sein du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques. Il a ainsi travaillé sur les données de près de 14 000 enfants de leurs 2 ans à leurs 5 ans et demi. Son étude, dont les résultats ont été donnés fin 2023«montre une relation négative entre le temps d’exposition et le développement» mais met aussi et surtout en évidence «que cette relation n’est pas vraie pour tous les domaines de la cognition et qu’elle est beaucoup plus faible lorsque le cadre de vie familial est correctement pris en compte». Le communiqué de presse de l’Inserm indique également que «si le temps d’écran a son importance, le contexte d’exposition compte également» : le temps d’exposition à la télévision sera par exemple plus dommageable dans le cas où le poste est allumé lors des repas, car cela peut nuire à l’apprentissage du langage de l’enfant (à cause du bruit de fond et de l’attention des adultes qui est captée par l’écran).

Au global, les résultats de l’étude semblent plutôt rassurants, puisqu’ils «suggèrent que les effets délétères de l’utilisation des écrans dans la petite enfance présentent un faible impact sur le développement cognitif au niveau individuel et [qu’ils] peuvent être compensés dans les années suivantes». Le chercheur note toutefois qu’il convient «de rester vigilants à l’échelle de la population» car «en santé publique, les petits ruisseaux font les grandes rivières».

Parmi les autres experts, on retrouve deux spécialistes du droit. Florence G’sell, professeure de droit privé à l’Université de Lorraine, chercheuse associée à l’Institut des hautes études sur la justice ainsi que chercheuse invitée au Cyber Policy Center de l’université de Stanford pour l’année 2023-2024. Elle est spécialisée en droit du numérique et notamment aux problématiques liées à la régulation des plateformes, à la notion de souveraineté numérique ainsi qu’aux politiques publiques relatives au numérique.

Célia Zolynski, professeure agrégée de droit privé à l’école de droit de la Sorbonne de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, est la seconde juriste de la bande. Au sein de l’Etat, elle a occupé des postes au sein du Conseil national du numérique, ainsi qu’au sein du Comité national pilote d’éthique du numérique ou du Comité de la prospective de la Cnil. Parmi ses nombreuses casquettes, elle est également codirectrice de l’observatoire de l’intelligence artificielle de Paris-I. Elle a participé plus récemment aux états généraux de l’information au sein du groupe de travail sur l’espace informationnel et l’innovation technologique. Ses sujets de prédilection concernent aussi bien la question de la haine en ligne que la régulation juridique de la captation de l’attention en ligne.

On retrouve ensuite des acteurs spécialisés dans les contenus éducatifs. Comme Axelle Desaint, qui travaille pour Tralalere, une entreprise de l’ESS qui conçoit des ressources pour éduquer «au et par le numérique». Elle est notamment derrière «Internet sans crainte», un programme national de sensibilisation des jeunes au numérique, sous l’égide de la Commission européenne. Ou Marie-Caroline Missir, directrice générale de Canopé, l’opérateur de l’Education nationale chargé de la formation continue des enseignants. Elle représente à ce titre les programmes mis en place pour former les enseignants mais aussi les élèves aux enjeux du numérique. Au sein du réseau Canopé, on retrouve ainsi le Clemi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), qui s’occupe de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans l’ensemble du système éducatif français.

On distingue enfin des profils plus singuliers comme celui de Catherine Rolland, cheffe de projet du GameLab de l’Ecole polytechnique, qui met en valeur la pratique du jeu vidéo. Si elle ne s’est pas exprimée sur la question de l’impact des écrans sur les enfants, cette «conceptrice de jeux sérieux» et «utiles» a vanté dans des interviews et conférences les vertus «thérapeutiques» que peuvent avoir les jeux vidéo.

Grégory Véret, enfin, est un entrepreneur : il a confondé Xooloo, une entreprise spécialisée dans la protection des mineurs sur Internet. Elle propose actuellement des applications pour smartphone de contrôle parental ou de messagerie sécurisée pour enfants.

«Points de vue très divers»

Le service de presse de l’Elysée estime auprès de CheckNews qu’il s’agit donc d’un «panel assez large de scientifiques» au sein duquel on retrouve «des points de vue très divers» et qui «ne sont pas forcément d’accord» pour pouvoir échanger et débattre sur ces questions. Selon l’Elysée, le groupe aura pour mission de faire émerger un constat de l’impact des écrans sur la santé des enfants que ce soit au niveau physique et mental, d’évaluer les dispositifs de régulation qui ont été mis en place depuis 2017, de définir la nouvelle doctrine de régulation et de proposer des outils adaptés à tous les publics (enfants, jeunes et adultes) sur la question de l’exposition aux écrans.

«L’idée est de confronter des perspectives très différentes sur la question des écrans et de la jeunesse, confirme Grégoire Borst à CheckNews. Et de ne pas s’arrêter uniquement au temps d’écran des enfants. On va évoquer des questions comme la régulation des acteurs du numérique, l’utilisation à l’école des écrans etc. par exemple. Avec comme objectif de faire des recommandations au gouvernement.»

Il reconnaît d’emblée que le comité comporte des personnes qui n’ont «pas le même discours». Mais il est «plutôt équilibré. Avec quelqu’un comme Servane Mouton, qui va plutôt insister sur les dangers des écrans, et d’autres, comme moi ou Jonathan Bernard, qui allons peut-être plus parler du contexte ou des contenus.» Toute la difficulté, déjà identifiée, résidera selon lui, sur le plan scientifique, à «articuler les données cliniques avec les données épidémiologiques» : «On ne peut pas nier qu’il peut y avoir des problèmes au niveau individuel, que les praticiens vont voir des jeunes avec des difficultés, liées aux écrans. Mais on va aussi rappeler qu’au niveau épidémiologique, il n’y a pas forcément de signaux systématiques liés aux écrans, avec des effets très négatifs. Et que si on prend d’autres facteurs en compte, on se rend compte qu’il s’agit de phénomènes plus complexes», que la seule problématique du temps d’écran.

Le chercheur anticipe donc que les recommandations du comité sortiront nécessairement de la caricature et éviteront les écueils «des positions trop béates ou de celles trop prohibitives».


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