Par Maroussia Dubreuil Publié le 23 juin 2023
De la chouette au couple, de l’œuf mayo à l’endométriose, des jésuites au féminisme : conversation bondissante avec l’humoriste, actrice et productrice, à l’affiche du « Processus de paix ».
« On m’a toujours dit que je ressemblais à une chouette, à cause de mes grands yeux ronds, un peu exophtalmiques… “Fais la chouette”, me demandait ma mère, à table. » La preuve sur-le-champ. L’actrice Camille Chamoux rabat sa paupière droite, arrondit ses sourcils et pivote la tête vers le bar. Depuis toute petite, elle collectionne des salières, des tasses et des figurines « marrantes ou austères », en porcelaine ou en métal, à l’effigie de son animal totem, symbole d’Athéna, déesse de la sagesse. Ce bibelotage ne déplaît pas à son mari, d’origine grecque, qui retrouve sur leurs étagères un air du pays. « Mon grand-père paternel était helléniste… Il n’y a pas de hasard », dit-elle.
En toute logique, Camille Chamoux a appelé sa société de production La Chouette. « Comme j’entreprends beaucoup de projets, j’ai décidé de les coproduire, explique-t-elle, de retour d’un rendez-vous avec un distributeur. J’ai mis du temps à comprendre que ce que je faisais naturellement – lancer des idées, parler aux chaînes de télévision, rassembler une équipe, prendre des initiatives –, c’était de la production. »
Découverte il y a près de dix ans dans le seule-en-scène Née sous Giscard, Camille Chamoux, 45 ans, a décortiqué les travers mous et les chochotteries de la génération X – « Partout où j’arrive, l’âge d’or est révolu » – dans deux autres spectacles, L’Esprit de contradiction (2016) et Le Temps de vivre (2020), citant Proust et Despentes et esquintant au passage les « boomeurs » du cinéma français.
Actrice et scénariste, elle est apparue au générique des Gazelles (2014), de Mona Achache (une conseillère Pôle emploi redécouvre le célibat), de Premières vacances (2018), avec Jonathan Cohen, réalisé par son mari, Patrick Cassir (deux trentenaires partent en vacances au lendemain de leur rencontre sur Tinder), et du Processus de paix, d’Ilan Klipper, actuellement à l’affiche (un cessez-le-feu conjugal inspiré par ses neuf ans de vie à deux et les accords d’Oslo).
« Pourquoi s’acharne-t-on à rester ensemble ? Le couple est un objet d’observation extraordinaire, parce qu’il est une altérité totale. J’aime l’idée d’un partenariat d’expérience où l’on surmonte des épreuves, avec une aspiration au mouvement au lieu de la capitulation. »
Fascinée par les relations amoureuses qu’on nouait au lycée, « des couples légendaires qui jouaient aux “encouplés” à mort », elle se demande aujourd’hui ce qu’il en est de l’amour au XXIe siècle. « Je vends mes scénarios comme des petites comédies légères mais, au fond, je parle de la liberté de la femme moderne au sein du couple. Un chemin pavé de difficultés… »
Pensées bondissantes
Jeudi 8 juin. Premier jour de l’année au-dessus des 30 °C. On l’a vue arriver, teint de porcelaine et cheveux blondis, sur sa trottinette électrique. Feux de frein miroitants. Effet fatal. Cache-cœur imprimé vichy et mules en cuir, charme rétro venu tout droit de la boutique Rouje, de Jeanne Damas. Et short bien coupé. « Ras la touffe. Tranquille comme quand j’avais 15 ans… Vive cette ère de libération ! », se réjouit-elle lorsqu’on évoque la reconquête des jambes nues des citadines, cinq ans après #metoo. Les arbres du square d’en face rafraîchissent notre table, installée sur le trottoir.
Elle a donné rendez-vous dans son quartier, un coin familial du 11ᵉ arrondissement de Paris, chez Amatxi. Ce bistrot basque lui a été conseillé par des parents d’élèves, « une espèce dont [elle s’est] longtemps méfiée », en devenant mère de deux enfants – Constantin, 8 ans, et Apollonia, 5 ans. Rosé glacé pour elle, « pét nat » (vin pétillant naturel) pour nous, on ne lésine pas sur les glaçons.
« Ça vous embête si je prends des œufs ? Je suis toujours à l’œuf, qu’il soit poché, mollet, dur, mimosa… » Monomanie partagée à 100 %. On commande des œufs mayonnaise certifiés ASOM (Association de sauvegarde de l’œuf mayo), relevés au piment d’Espelette. « Ce que j’aime, en général, c’est débriefer, sous sa forme anecdotique, au café, ou dramaturgique, dans un scénario. Notre goût pour les œufs, c’est genré, non ? »
Débit rapide, pensées bondissantes, esprit Tetris… On en vient à parler de l’énorme œuf de pigeon violacé dont a écopé son fils, sur le front.
Jusqu’à 35 ans, Camille n’a pas beaucoup mangé ni bien dormi. Elle travaillait, ne se couchait pas, passait ses nuits en boîte, tombait de fatigue, se réveillait maquillée et repartait. « J’avais ce truc d’hyperactive narcoleptique. Je m’endormais au volant, j’ai dû arrêter de conduire. » Elle commence une psychanalyse. Cela dure dix ans : trois ans de face-à-face et sept ans allongée. « J’avais enregistré le numéro de ma thérapeute dans mon téléphone sous “dermato”, parce que j’avais de l’eczéma partout. Au début, j’avais peur que l’analyse me rende moins drôle. » A chaque emménagement, elle installe un petit coin divan pour écrire ou tergiverser.
Renverser la donne
Issue d’une famille d’intellos conservateurs, mère juriste, père madeliniste qui a travaillé sur la déréglementation des télécoms, elle a deux grands frères. « Je ne partageais pas leur vision, mais la parole circulait, tout le monde a toujours discuté avec moi. »
Elève jusqu’en seconde à Saint-Louis-de-Gonzague, un établissement jésuite du 16ᵉ arrondissement – « J’adorais les jésuites, mais je n’aimais pas la clientèle ! » –, elle est envoyée par ses parents à La Tour, un institut catholique. Elle tient deux jours et, sur les conseils de sa mère qui se ravise, va frapper à la porte du bureau de la proviseure du lycée Fénelon (Marguerite Gentzbittel, dont le feuilleton Madame le Proviseur s’est inspiré) : « Je suis chez les sœurs mais je suis anticléricale », lui dit-elle. Acceptée, elle découvre un nouveau monde : Quartier latin, tous en col Mao, fils de psys ou de profs. « Ma life. »
S’ensuit un parcours classique pour qui vient des beaux quartiers : hypokhâgne, khâgne et maîtrise de lettres à la Sorbonne. A 18 ans, Camille Chamoux s’est déjà fait une certaine idée de l’art et du raffinement. « Ma première vocation étant la mise en scène, je voulais être Patrice Chéreau. » Elle monte Fragments d’une lettre d’adieu lus par des géologues, de Normand Chaurette, et La Douleur de la cartographe, de Chris Lee… Sans doute une réminiscence du passé d’archéologue de son grand-père helléniste. « Il y avait des fulgurances, mais je n’étais pas la meilleure. » Son amie de Fénelon, l’autrice et metteuse en scène Pauline Bureau, la secoue : « Enfin, qu’est-ce que tu fous ? Tu es assise sur une valise d’opportunités et de pognon. Tu es drôle, sers-t’en… Monte ton one-man-show. » Camille Chamoux se lance au Théâtre Trévise, une des premières scènes ouvertes de Paris, dans le personnage d’une mytho, et monte en 2009 son premier spectacle, Camille attaque, au Splendid.
2023. Elle fait son premier Festival de Cannes en tant que productrice avec plusieurs projets en développement – entre autres, un thriller politique pour le cinéma et la série SPM, comme « syndrome prémenstruel », prévue pour Canal+. « L’idée, c’est de renverser la donne, explique-t-elle. Je me suis fait virer de deux films parce que j’étais enceinte. J’en déduis que, dans le cinéma, c’est plus compliqué d’embaucher des femmes enceintes que des acteurs héroïnomanes. Après ces expériences, je me suis dit que j’allais faire travailler toutes les femmes enceintes, en endométriose, en ménopause… »
Lorsqu’une main s’apprête à débarrasser notre assiette, la jeune productrice fait preuve d’une réactivité exceptionnelle en arrêtant son geste. Reste de quoi faire deux ou trois lichettes de mayonnaise.
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