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samedi 8 juillet 2023

Justice Affaire Romain Dupuy : vers la fin d’un long «ping-pong» judiciaire ?

par Chloé Pilorget-Rezzouk   publié le 6 juillet 2023

Après cinq ans d’imbroglio juridique, le tribunal des conflits vient de trancher en faveur du juge des libertés et de la détention. Une décision pleine d’espoir pour l’homme de 39 ans interné après un double meurtre, atteint de schizophrénie, celui-ci s’étant déjà montré favorable à son transfert dans un service classique de psychiatrie.

C’est la fin d’un éreintant «ping-pong» juridique pour Romain Dupuy. L’homme de 39 ans, interné après avoir tué une infirmière et une aide-soignante à l’hôpital de Pau, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, aspire depuis cinq ans à un assouplissement de son régime psychiatrique. Depuis cinq ans, les médecins considèrent en effet que l’état de santé mentale de ce malade schizophrène, déclaré irresponsable pénalement, n’exige plus qu’il reste à l’unité pour malades difficiles (UMD) de Cadillac-sur-Garonne (Gironde). Mais depuis cinq ans, Romain Dupuy est pris dans un imbroglio : juges judiciaire et administratif se renvoient la responsabilité de statuer sur sa demande de transfert dans une unité de soins psychiatriques ordinaire. Chacun au motif qu’il serait incompétent.

Par sa décision datée du lundi 3 juillet, dont Libération a eu connaissance ce jeudi, le tribunal des conflits met fin à cet embrouillamini juridique : les recours contre les décisions de placements ou de maintiens en UMD relèvent du juge judiciaire. L’«arbitre» entre les deux ordres de juridictions désigne «la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige opposant monsieur Dupuy à la préfète de la Gironde», conformément aux conclusions du rapporteur public et à la demande des avocats de Romain Dupuy, Mes Hélène Lecat et Patrice Spinosi. «La juridiction judiciaire est […] compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d’une hospitalisation complète ou refuse sa sortie d’une telle unité», écrit encore le tribunal, composé à parité de huit membres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation.

«Une victoire du droit»

«Il s’agit d’une décision réjouissante, car elle va enfin contraindre un juge, en l’occurrence le juge judiciaire, à se prononcer sur la demande de mainlevée de placement en UMD», se félicite Me Spinosi, lequel a plaidé le dossier devant cette juridiction singulière qui se réunit en principe seulement une fois par mois. «C’est la fin d’un déni de justice, une victoire du droit pour Romain Dupuy, mais également pour tous les autres patients hospitalisés sous contrainte», abonde Me Hélène Lecat, très émue.

Le dossier sera donc renvoyé devant la cour d’appel de Bordeaux. Le 9 juin 2022, le juge des libertés et de la détention de Bordeaux avait fait droit à la demande de transfert de Romain Dupuy. Mais sa décision avait été rejetée par la cour d’appel de Bordeaux, qui avait considéré que seul le juge administratif pouvait trancher. Une ordonnance jugée par conséquent «nulle et non avenue» par le tribunal des conflits. En dépit des commissions de suivi médicales favorables, la préfecture s’est toujours opposée à une sortie de l’UMD. Lors de la dernière audience devant le juge des libertés et de la détention, le 6 juin, son représentant avait avancé, selon plusieurs observateurs, que «le doute ne peut pas être permis» dans un tel dossier et évoqué «une prudence nécessaire», renvoyant au meurtre d’une infirmière par un malade, à Reims, une quinzaine de jours plus tôt.

«Atteinte à l’intégrité»

«On peut se demander si on peut maintenir un îlot de compétences de l’ordre administratif au sein de ce qui ressemble de plus en plus à un océan de compétences de l’ordre judiciaire», avait déclaré le rapporteur public, dont le rôle est d’éclairer en droit le tribunal, et dont l’avis est suivi dans la grande majorité des dossiers. S’il a égrené plusieurs arguments en faveur d’une attribution à l’ordre administratif, la lettre du texte allant plutôt dans ce sens, Romain Victor s’est ensuite attaché à démontrer que cette compétence devait revenir au juge judiciaire, pour «des raisons d’opportunité, de bonne administration de la justice et de protection des personnes». «Il est difficile de rester insensible à l’intention du législateur d’unifier progressivement le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte au sein de l’ordre judiciaire», a-t-il encore fait valoir, jugeant en outre «inopportun d’éclater le contentieux entre les deux ordres» et soulignant «la particulière vulnérabilité des intéressés», telles les personnes détenues ou irresponsables pénalement.

«Tant de temps, tant d’atermoiements, pour trouver un juge !», avait regretté Me Spinosi devant le tribunal, dénonçant la «stratégie d’évitement des juridictions, qui porte atteinte à l’intégrité d’un homme». Contacté à l’issue de l’audience par le biais de Me Lecat, Romain Dupuy s’était dit «un peu usé» par cette situation inextricable, mais avait affirmé sa volonté de «[se] réinsérer» : «Chaque jour, je fais mes preuves. J’espère que la société me rouvrira ses portes.»


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