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mardi 4 juillet 2023

Fécondation in vitro : « Les possibles risques sur la santé des enfants sont insuffisamment documentés »

Propos recueillis par  et   Publié le 02 juillet 2023

Dans un entretien au « Monde », le professeur Pierre Jouannet, membre de l’Académie de médecine, s’alarme du manque de données médicales sur cette population. Il regrette que l’Agence de biomédecine, créée en 2004 et dont c’était l’une des missions, n’ait pas correctement mené ce travail de collecte.

Le professeur Pierre Jouannet, à son domicile, à Paris, le 1ᵉʳ juillet 2023.

Quelle est la santé à moyen et long termes des enfants conçus par fécondation in vitro (FIV) ? Quarante-cinq ans après la naissance du premier bébé-éprouvette, Louise Brown, le 25 juillet 1978, au Royaume-Uni, et alors que plus de huit millions de personnes ont été ainsi conçues dans le monde, la question est toujours posée. En France, 3 490 enfants sont nés en 2019 d’une FIV avec transfert immédiat, 7 292 d’une ICSI (injection d’un spermatozoïde directement dans un ovocyte) avec transfert immédiat, et 9 701 après transfert d’un embryon congelé. Le 21 mars, l’Académie de médecine a adopté un rapport sur ce thème.

Entretien avec Pierre Jouannet, l’un de ses rédacteurs, par ailleurs biologiste de la reproduction et professeur émérite à l’université Paris-Descartes.

Quelles sont les principales évolutions récentes de la FIV en France ?

Je vois trois évolutions majeures, au cours des dix dernières années. D’abord, on a diminué le nombre moyen d’embryons transférés in utero à chaque tentative. Au début, les praticiens en transféraient deux voire trois, ce qui a accru considérablement le taux de grossesses multiples et les problèmes connexes en matière de prématurité et de santé des enfants et des mères. Aujourd’hui, il est recommandé de ne transférer qu’un seul embryon. Grâce à l’amélioration des techniques, les taux de succès n’ont pas baissé et le taux de naissances multiples a été divisé par deux

La deuxième évolution importante est le transfert de l’embryon dans l’utérus au stade blastocyste [une structure d’environ 200 cellules], ce qui augmente les chances d’implantation. Cela implique que l’embryon se développe pendant quatre ou cinq jours en laboratoire, ce qui n’est pas forcément sans conséquences.

Enfin, l’amélioration des techniques de congélation, notamment la vitrification désormais utilisée par tous les centres de procréation médicalement assistée (PMA), permet de récupérer des embryons de meilleure qualité. Au point qu’aujourd’hui les taux de grossesse obtenus après transfert d’embryons congelés sont aussi bons qu’avec des embryons « frais ». Cette amélioration peut modifier la stratégie du transfert embryonnaire. Les traitements hormonaux donnés avant la collecte des ovocytes n’étant pas toujours favorables pour assurer la nidification dans la muqueuse utérine, on s’est rendu compte que les taux de succès pouvaient être meilleurs si les embryons étaient tous congelés immédiatement après la FIV puis transférés ultérieurement. En 2020, cette stratégie dite du « freeze all » a été adoptée dans plus de 20 % des cycles de traitement de FIV et d’ICSI.

Que sait-on de la santé des enfants nés d’une FIV ?

On comptabilise plus de 1 500 publications dans les revues scientifiques sur la santé à moyen et long termes de ces enfants. Mais on est encore loin de tout savoir, puisque les plus âgés d’entre eux ont aujourd’hui une quarantaine d’années pour ceux nés d’une FIV, ou une trentaine pour ceux conçus par ICSI.

Certains pays se sont montrés plus actifs et performants que d’autres dans ce domaine. Les pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) se sont associés pour partager leurs données. D’autres études très intéressantes ont été menées, notamment en Australie, en Belgique et aux Pays-Bas. La France, malheureusement, n’a pas brillé par l’intensité de la recherche sur ce sujet.

Pourquoi la France ne se serait-elle pas intéressée à ce sujet ?

La France se targue beaucoup de la qualité de sa réflexion et de ses choix politiques en matière d’éthique biomédicale. Hélas, elle a parfois du mal à en assurer la mise en œuvre.

En 2004, la loi de bioéthique a créé l’Agence de biomédecine (ABM), qui encadre les transplantations d’organes, la génétique et l’assistance médicale à la procréation. Ce texte avait inscrit la surveillance de la santé des femmes et des enfants issus de PMA dans les missions de l’agence. Mais celle-ci n’a créé qu’en 2018 un groupe de travail sur ce thème. Et pas grand-chose n’a été entrepris pour la recherche dans ce domaine. C’est pourquoi l’Académie de médecine a recommandé que plus de moyens lui soient donnés pour assurer cette mission.

Qu’est-ce qui, dans les techniques de FIV, pourrait avoir des conséquences sur la santé des enfants ?

Lors d’un cycle de traitement par FIV, il y a trois étapes sensibles. D’abord, les traitements hormonaux donnés aux femmes pour provoquer la croissance folliculaire et la maturation des ovocytes. Ensuite, les conditions dans lesquelles les embryons sont cultivés au laboratoire. Enfin, les techniques de congélation.

Les données précises et détaillées concernant ces trois étapes sont encore insuffisamment documentées dans les registres comme celui tenu par l’ABM. Or, c’est une nécessité de disposer de ces données de qualité pour pouvoir les croiser avec les informations médicales de l’enfant, et ce afin d’apprécier le rôle de tel ou tel facteur, par exemple la composition d’un milieu de culture des embryons dans l’apparition de troubles du développement neurologiques, comportementaux ou autres.

Vous avez fait une revue complète de la littérature sur les moyen et long termes. Y a-t-il des motifs d’inquiétude ?

Globalement, il n’y a pas lieu d’être inquiet. Si des troubles de santé sont observés, il faut souligner qu’ils peuvent être aussi liés à une transmission parentale ou même être en partie la conséquence d’une plus grande attention portée par les parents au développement et à la santé de leurs enfants.

Un des exemples souvent cités est celui des risques cardiaques et vasculaires : hypertension artérielle, fragilité des parois vasculaires… En reprenant toutes les études épidémiologiques, on constate que les résultats sont hétérogènes, parfois contradictoires, donc il n’y a pas de consensus. Dans ce domaine, nous disposons aussi de travaux expérimentaux, notamment chez la souris. Ceux-ci ont montré que les souriceaux issus de FIV peuvent avoir des perturbations cardio-vasculaires en lien avec un stress oxydant, par un mécanisme épigénétique.

Donc, il faut continuer la recherche et, à ce stade, il ne semble pas nécessaire de prendre des mesures particulières. Mais les connaissances disponibles justifient d’informer les futurs parents de manière aussi claire, objective et précise que possible sur les conséquences et risques à moyen et long termes sur la santé de leurs enfants.

Il faut aussi les sensibiliser à l’importance d’informer les principaux intéressés de leur mode de conception. Ainsi, plus tard, ceux-ci pourront être pris en charge de façon adaptée en connaissant le contexte s’ils ont un problème de santé. Ils pourront aussi être volontaires pour participer à des études cliniques, épidémiologiques…

Revenons aux risques. Que peut-on dire d’un excès de cancers évoqué dans votre rapport ?

Sur les treize publications recensées en 2019, trois ont fait état d’une hausse significative mais modérée de l’incidence des cancers pédiatriques chez les enfants issus de FIV. Elles portaient sur de petits effectifs, alors que les études sur de grandes cohortes n’ont pas identifié de surrisque.

Plus récemment, trois publications ont identifié un risque plus élevé de cancers chez les enfants nés après un transfert d’embryons congelés. Différents types de cancers sont concernés, qui varient selon les études ; l’excès de leucémies a, lui, été confirmé par plusieurs équipes. En France, un vaste travail épidémiologique est en cours, sur une cohorte de plus de 100 000 enfants issus d’embryons frais ou congelés.

Sur cette question des cancers aussi, il faut continuer les études pour avoir des données à long terme, mais les surrisques, même s’ils sont statistiquement significatifs, sont tellement faibles qu’ils ne doivent pas créer d’inquiétudes disproportionnées.

Qu’en est-il de la fertilité des personnes nées après FIV ?

Les grossesses et les accouchements médiatisés de Louise Brown et d’Amandine [née en France en 1982] ont montré que l’on peut procréer naturellement sans problème après avoir été conçu par FIV.

Il n’y a pas encore beaucoup de données sur la fertilité dans cette population, mais, dans le cas de certaines stérilités masculines d’origine génétique, il est probable et parfois certain que les garçons nés à la suite d’une FIV, et en particulier une ICSI, seront stériles comme leur père. Ce n’est pas la PMA qui est en cause. En l’occurrence, ces hommes ne seraient jamais nés sans FIV, mais ils héritent de l’infertilité de leur père.


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