« Si tu joues aux policiers, ils joueront aux bandits,Si tu joues au bon Dieu, ils joueront au diable,Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniersEt si tu es toi-même, ils seront bien embêtés. »
I
Éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse, j’ai choisi de travailler au sein d’un établissement pénitentiaire pour mineurs, lieu d’enfermement pour des adolescents âgés de 13 à 18 ans. Ces adolescents sont incarcérés soit dans le cadre d’une peine d’emprisonnement, soit dans le cadre de l’instruction le temps de l’enquête judiciaire. Ils encourent des peines allant d’un mois à plusieurs années en raison des faits commis : vol, dégradation, meurtres, trafic de stupéfiants…
Avec la loi du 9 septembre 2002, dite « Perben 1 », l’intervention de la contrainte dans l’acte éducatif se renforce, le respect des mesures éducatives peut être imposé sous peine de sanction pénale. Ces nouveaux établissements mettent la France en conformité avec les règles pénitentiaires édictées par le Conseil de l’Europe. Ils permettent ainsi une séparation absolue entre majeurs et mineurs. Ainsi, que ce soit en termes de salubrité des locaux, de respect de la règle d’encellulement individuel, ou de suivi éducatif, les établissements pénitentiaires pour mineurs semblent améliorer les conditions de détention des mineurs.
Toutefois, ils sont présentés comme des lieux de réinsertion en banalisant le fait même de l’incarcération. Ainsi, l’établissement pénitentiaire pour mineurs serait-il un objet éducatif non identifié qui aurait pour objet de concilier prison et éducatif ? Pourquoi une telle abondance d’activités obligatoires ? Les temps de solitude se résumeraient-ils à une forme de torpeur ? Pourtant, au sein de ce dispositif rigoureux et cadré, les adolescents ont besoin de pouvoir déployer leur imaginaire, de pouvoir jouer avec, d’en expérimenter à la fois les potentialités et les limites. Le jeu peut être utilisé comme un outil éducatif dont l’éducateur va se saisir pour proposer une rencontre autrement. Une simple invitation au plaisir et, de plus, au plaisir partagé, expérience que beaucoup d’adolescents n’ont pas eu l’occasion de connaître. Le plaisir de la rencontre va se créer dans le temps éducatif. J’ai choisi de travailler avec le jeu comme outil éducatif, pariant qu’il pouvait nous permettre de créer une relation nouvelle avec l’adolescent.
Pourquoi les adolescents ont-ils besoin de jouer ici, ailleurs, et surtout en prison ?
Jouer, à l’adolescence, c’est prendre des risques, c’est-à-dire découvrir, grandir, essayer, désirer, imaginer, se mesurer, mais des risques limités dans le temps, dans l’espace de jeu, sans dommages pour la relation. C’est ouvrir le champ des possibles, en restant soi. Le jeu oblige à réfléchir, pousse à la logique, à la déduction, à choisir et à décider, à accepter de perdre pour pouvoir gagner. Le jeu renforce les capacités de concentration et de maîtrise de soi sur le plan affectif. Il permet à l’adolescent de retrouver une estime, une place. Il m’est apparu intéressant de mener un atelier libre, sans obligation ni contrainte d’y participer. Le fait que l’adolescent s’y adonne spontanément, de son plein gré, et pour son plaisir, étant primordial à l’esprit de cette rencontre.
Le jeu est un processus d’humanisation. Il est le support du rêve, de l’imaginaire, du fantasme mais aussi du conflit. Il devient un espace intermédiaire qui rend possible la séparation avec les premières figures d’attachement.
Le jeu est un espace d’appropriation de la réalité dans un environnement auquel l’adolescent n’a de cesse de vouloir échapper : le milieu carcéral. La gratuité et le plaisir constituent deux piliers du jeu. L’activité du jeu est un outil efficace pour redonner aux adolescents un sentiment de légèreté, de bien-être, un sentiment d’exister autrement.
Le jeu marque l’action de sérieux, d’engagement mais aussi de distance : l’adolescent reste d’un bout à l’autre, le seul comptable du jeu. Il est essentiel que l’adolescent comprenne que le jeu dans son ensemble n’existe que pour lui et par lui seul. Il réalise alors que le jeu n’a de sens que pour lui, et notamment celui qu’il décidera de lui attribuer. Ainsi, dans le jeu, il n’existe ni obligation, ni sanction, et tout se joue de lui à lui.
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