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dimanche 30 octobre 2022

Plateforme «MonPsy» : vers l’ubérisation de la santé mentale ?

par Jean-Pierre Zobel, président du Syndicat National des Praticiens en Psychothérapie Relationnelle et en Psychanalyse (SNPPRP)  

publié le 28 octobre 2022 

Le dispositif, lancé par le gouvernement en avril, après un boom des troubles psychiques, installe une pratique low-cost des métiers de la santé mentale, plaçant la profession sous tutelle des généralistes, dénonce le psychanalyste Jean-Pierre Zobel.

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a eu un impact sans précédent sur la santé mentale des Français. Les résultats de la dernière enquête CoviPrev démontrent la dégradation de leur état psychologique post-épidémie (évolution par rapport au niveau avant épidémie) : 15 % d’entre eux rapportent des signes d’un état dépressif (+5 points), 25 % des signes d’un état anxieux (+12 points) et 67 % souffrent de problèmes d’insomnie (+18 points).

Le dispositif MonPsy, lancé le 5 avril dernier, permet aux patients de plus de 3 ans atteints de troubles psychiques légers à modérés (non ouverts aux formes sévères de troubles psychologiques) de bénéficier du remboursement de huit séances d’accompagnement psychologique par an. Les honoraires des praticiens sont fixés à 30 euros par séance (40 euros pour l’entretien d’évaluation réalisé lors de la première séance) et ne peuvent faire l’objet d’un dépassement. Les patients sont remboursés à 60 % par l’Assurance maladie, le solde étant pris en charge par l’assurance complémentaire. Pour en bénéficier, il faut être adressé par un médecin généraliste et s’adresser à un psychologue conventionné et répertorié sur la plateforme MonPsy.

Présenté comme une des mesures phares des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie organisées en septembre 2021, le dispositif MonPsy est loin de faire l’unanimité chez les professionnels. A Paris et en région, des milliers de praticiens sont descendus dans la rue le 10 juin dernier pour manifester contre ce dispositif et, plus, généralement contre la dégradation de la prise en charge des patients. A leur suite, nous dénonçons une para-médicalisation, une instrumentalisation et une dévalorisation de la profession, et exhortons le gouvernement à revoir ces nouvelles mesures.

La mise en place d’une thérapie low-cost est à craindre en premier lieu. Le montant de la séance subit une sous-tarification, chutant à 30 euros, selon un raisonnement basé sur une politique du chiffre et non de la qualité de prise en charge du patient. Le praticien divise ses revenus «traditionnels» par deux et les séances MonPsy imposent une durée aux séances, ne permettant plus au professionnel d’adapter sa pratique selon les enjeux processuels et la problématique manifeste ou latente, selon sa formation de référence.

Boom des pathologies

La relation patient-praticien est menacée : en huit séances, on ne règle pas tous les problèmes, on ne fait que de la thérapie comportementale au détriment de thérapie relationnelle. C’est une médecine à deux vitesses qui se profile : des patients qui consultent à hauteur de huit séances puis arrêtent, pensant être soignés, et ceux qui continuent la thérapie sans remboursement. Quant à l’adressage du patient par le médecin généraliste, elle s’apparente à une mise sous tutelle d’évaluation de la profession. Le choix du praticien sera désormais influencé par le médecin généraliste et l’anonymat risque d’être moins respecté. Via ce nouveau parcours du patient, la profession est paramédicalisée et désormais dévalorisée.

A cela s’ajoute l’échec de la plateforme à fédérer. Selon un décompte du Syndicat national des psychologues, moins de 5 % des professionnels ont intégré le dispositif, soit environ 1 300 praticiens sur les près de 28 000 exerçant en libéral. En outre, il s’agit très souvent de jeunes professionnels avec peu d’expérience qui souhaitent se créer une clientèle rapidement. Sans avoir été consultés au préalable par le ministère de la Santé, les praticiens du secteur «subissent» un nouveau dispositif jugé «non viable» et craignent de perdre leur code APE, qui permet d’identifier la branche d’activité d’un travailleur, par une mention type «activité de santé humaine».

Aujourd’hui, il existe un manque flagrant de psychologues dans les institutions au point de créer d’abominables listes d’attente. Nous dénonçons ce nouveau dispositif comme «l’arbre qui cache la forêt»en faisant croire à une prise en charge de la souffrance psychique et de la détresse sociale de tous les Français par un double système d’allégement des «flux» : externalisation de la prise en charge et mise en place du système de tourniquet.

Face à un dispositif largement boycotté, les professionnels du secteur réclament donc un accès direct sans prescription ni critère d’exclusion et une prise en charge remboursée sans limitation de durée, sur la base d’un tarif adapté aux particularités des consultations psychologiques qui ne sont pas, par définition, des consultations médicales.


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