par Christian Lehmann, médecin et écrivain. publié le 1er novembre 2022
Le Covid long est un serpent de mer qui ne cesse de ressurgir alors que tout est fait pour l’invisibiliser. Notamment par ceux pour qui l’économie prime sur la santé, pour qui le «quoiqu’il en coûte» a vécu et estiment qu’on en a assez fait avec une pandémie aujourd’hui éclipsée par la guerre en Ukraine, la crise énergétique et le réchauffement climatique. Ils pensent ou feignent de penser que le Covid long n’existe pas: les personnes qui se plaignent de troubles persistants après un Covid peuvent être classés parmi les hystériques.
Mais si le Covid long existe, la gestion sanitaire actuelle, faisant fi des plus vulnérables est, au mieux fautive, au pire d’une criminelle négligence. Car elle laisse une population peu ou mal informée à la merci d’un virus dont les variants peuvent provoquer de multiples réinfections, avec un risque cumulatif à terme de séquelles neurologiques, vasculaires, respiratoires et immunitaires.
Le 20 octobre, le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires a publié son premier avis suite à une saisine des ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Créé par Emmanuel Macron après le démantèlement d’un Conseil scientifique longtemps instrumentalisé puis récemment gratifié de la Légion d’honneur, le Covars devait éclairer les ministres et l’action publique sur «l’épidémiologie actuelle du virus en France et en Europe», dans le cadre d’une «normalisation» de la gestion de la maladie, «comme ont commencé à le faire de nombreux pays voisins».
Troubles fonctionnels
La question du Covid long y est abordée. «Les conséquences à long terme, multiples et systémiques, directement liées au virus» sont évoquées, ainsi que leur «expression clinique variable et fluctuante déroutant patients et soignants parfois démunis, voire mis en échec». L’estimation de Santé Publique France selon laquelle près de 2 millions de personnes sont concernées dans notre pays est notifiée, mais ce début de prise en compte est ensuite balayé en quelques phrases : «Le débat scientifique existe aussi quant à l’imputabilité des symptômes vis-à-vis de sars-cov-2 ou d’un autre agent déclencheur. Des travaux de recherche sur le Covid long devraient permettre de mieux approcher la complexité des syndromes post-infectieux en général, améliorer la prise en charge de ces troubles dits «fonctionnels» mal connus et peu étudiés.»
L’expression «troubles fonctionnels» est très connotée en médecine. En opposition aux troubles dits organiques, dans lesquels l’examen clinique du malade et les examens complémentaires peuvent mettre au jour des anomalies tangibles décelables par un tiers, comme la modification de taille ou de consistance d’un organe, la présence d’un ictère, de ganglions, d’une éruption, ou des anomalies dans une prise de sang ou un examen radiologique, les médecins évoquent des troubles «fonctionnels» quand aucun argument tangible ne vient étayer le vécu et les plaintes du patient : essoufflement d’effort, confusion, palpitations, brouillard mental… D’où le fameux «C’est tout dans la tête», et une longue tradition française de psycho somatisation des maladies : les femmes françaises (ce sont souvent des femmes) ont donc au fil des décennies hérité des qualificatifs d’hystériques, de spasmophiles… Si pour une partie des patients affectés, les symptômes peuvent correspondre à des troubles fonctionnels – et représenter un réel fardeau —, ce diagnostic ne peut être posé qu’en ayant éliminé tout trouble organique or à ce stade il existe de très nombreuses pistes en faveur de lésions organiques chez un grand nombre de patients.
En novembre 2021, une étude menée sur une cohorte épidémiologique française arrive à la conclusion que les manifestations du Covid long ne seraient pas forcément liées à l’infection par le sars-cov-2, mais bien plutôt… au fait d’être persuadé d’avoir été infecté. Publiée dans le Jama Internal Medecine, cette étude fait grand bruit, et au fil de tribunes et de contre-expertises, apparaissent plusieurs biais majeurs. Sur le plan méthodologique, les patients sont classés en infectés ou non infectés en fonction de leur statut sérologique, de la présence ou non d’anticorps à distance de l’infection supposée, quand le «gold standard» pour affirmer l’infection, est et reste la réalisation d’un test PCR positif en phase aiguë. L’évolution du taux d’anticorps est très variable d’un individu à l’autre et le fait d’avoir une sérologie négative n’infirme pas le diagnostic à distance.
La France s’enferre dans cette psychologisation du Covid long
Pire encore, on apprendra par la suite que certains patients de l’étude dont le test sérologique était positif ont été informés que seuls les tests négatifs étaient fiables et ont subi un second test, annoncé comme 100 % fiable, sans que jamais cette information n’apparaisse dans une étude où on classe les patients en fonction de leur intime conviction d’avoir été infectés. Enfin, le groupe de sujets convaincus d’avoir été infectés contient en proportion plus de patients vraiment infectés… que le groupe présentant une sérologie positive. Les symptômes prolongés sont donc une conséquence de l’infection, et pas de la «croyance», ce qui invalide les conclusions de l’étude.
Critiquée en France du fait de ses insuffisances par une tribune de médecins et de chercheurs dans le Monde, l’étude est défendue par certains de ses auteurs au prétexte qu’«il n’est pas déontologique de critiquer des travaux scientifiques dans un journal grand public». A l’international, les critiques sont nombreuses, mais la revue, plutôt que de rétracter l’article, après avoir publié en mai 2022 une correction reprenant les erreurs de calcul de l’étude et les inconsistances dans la classification des patients, choisit… de refuser à partir de mai 2022 de publier tout nouveau commentaire ou nouvelle contre-expertise sur ce sujet.
Pendant que la France s’enferre dans cette psychologisation du Covid long, à l’étranger, plus de 2 000 publications scientifiques sur le sujet ont eu lieu. La recherche sur le Covid long, d’une intensité sans précédent, a bénéficié de considérables financements : 1,15 milliard de dollars aux Etats-Unis dès 2021, sans compter les financements privés ; 50 millions de livres au Royaume-Uni. En France, seulement 9,5 millions d’euros y ont été consacrés. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, exhortait le 12 octobre 2022 les dirigeants du monde entier à augmenter le financement des recherches sur le Covid long qui «dévaste la vie et les moyens de subsistance des personnes touchées»,en précisant : «Au début de la pandémie, il était important que les systèmes de santé débordés concentrent tous leurs efforts vitaux sur les patients présentant une infection aiguë. Cependant il est essentiel que les gouvernements investissent aujourd’hui à long terme dans leur système de santé et élaborent dès maintenant un plan pour faire face au Covid long. Ce plan devrait englober la fourniture d’un accès immédiat aux antiviraux aux patients à haut risque de maladie grave, l’investissement dans la recherche et le partage de nouveaux outils et connaissances à mesure qu’ils sont identifiés pour prévenir, détecter et traiter les patients le plus efficacement. Cela signifie également soutenir la santé physique et mentale des patients ainsi que fournir un soutien financier à ceux qui sont incapables de travailler.»
Or la persistance du déni français, l’entrisme des supporters de la thèse du Covid long psychosomatique au Covars et à la Haute autorité de Santé ont des conséquences directes sur la vie des patients affectés : difficultés d’accès au diagnostic et aux soins, préconisations inadaptées de réadaptation à l’effort alors que celle-ci aggrave les syndromes de fatigue post-effort, et, enfin, refus fréquent de prise en charge au titre de l’affection longue durée. Comme le note l’association #AprèsJ20, de mars 2020 à février 2022, seules 4 000 personnes ont vu leur demande d’ALD (rédigée par leur médecin) acceptée. «La France est à l’euro près» expliquait récemment Bruno Lemaire. Après le cinglant fiasco du stock pandémique de masques sacrifié au nom de l’économie, cette gestion «en bon père de famille» a un nom.
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