Par Pascale Santi et Solène Cordier Publié le 20 septembre 2022
L’agence nationale de santé publique rassemble pour la première fois bon nombre de données relatives à ce sujet, et relève une évolution préoccupante sur la décennie 2010-2019.
Une « situation préoccupante de la santé périnatale en France ». Un ton assez alarmiste accompagne la publication par Santé publique France (SPF), mardi 20 septembre, d’un ensemble d’indicateurs concernant la santé périnatale – soit ce qui touche à la santé de la femme enceinte, du fœtus et du nouveau-né, de la grossesse au post-partum. En s’appuyant notamment sur les données de l’Insee, celles issues du codage des actes à l’hôpital et de résultats d’études diverses, l’agence nationale de santé publique offre une photographie inédite de l’évolution de la santé périnatale depuis dix ans, de 2010 à 2019.
Une ère pré-Covid donc, observée ici avec un fil rouge : celui des inégalités de santé. Tout en reconnaissant un niveau « élevé et stable » de prise en charge, le rapport témoigne de fait d’une grande hétérogénéité territoriale, avec une situation particulièrement inquiétante à Mayotte et en Guyane. En augmentation ces dernières années, les chiffres de la mortalité néonatale – qui correspond aux décès des nouveau-nés de la naissance à leur 27e jour – sont l’un des points d’alerte de ce travail, destiné à éclairer les pouvoirs publics dans leurs actions de prévention.
Sur ce sujet, mais aussi sur d’autres, tels que les premières causes de mortalité maternelle que constituent les maladies cardiovasculaires et la santé mentale, « il faut réagir assez vite, et notamment sur la prévention, dès le désir d’enfant », affirment des autrices du rapport.
Hausse de la mortalité néonatale
C’est l’un des constats alarmants du document de 162 pages, qui confirme les résultats de publications scientifiques récentes : la mortalité néonatale a augmenté ces dernières années, passant de 1,6 décès pour 1 000 naissances en 2010 à 1,8 en 2019, en métropole. La hausse se concentre sur la première semaine de vie, « ce qui pose la question de l’accès aux soins, du suivi de grossesse et de l’accompagnement des femmes après la naissance », relève une des autrices, la docteure Anne Gallay, directrice des maladies non transmissibles et traumatismes à SPF.
Dans les départements et régions d’outre-mer, la situation est deux fois plus critique : entre 3,3 et 4,4 décès pour 1 000 naissances sont enregistrés, selon les années, au cours de la décennie observée. Il s’agit d’un « résultat inquiétant », pointe SPF, qui confirme que la France se situe en « queue de peloton » sur cet indicateur par rapport à ses voisins européens. Comment l’expliquer ? A ce stade, peu de réponses. « Des travaux sont en cours pour tenter de comprendre cette évolution préoccupante », indique Nolwenn Regnault, autre autrice du rapport, responsable de l’unité périnatale, petite enfance et santé mentale à SPF.
La précarité des mères s’aggrave en Ile-de-France
Concernant cet indicateur, pas de tableau national, mais un focus régional souligné dans le rapport : en cinq ans, la proportion de femmes sans-abri accouchant a bondi, avec un taux passant de 0,58 % en 2015 à 2,28 % en 2019. La hausse est particulièrement significative à Paris, avec + 4,14 points. Elle a d’ailleurs été repérée ces dernières années par les associations de lutte contre la pauvreté et les professionnels de santé, qui sont montés au créneau. Impossible cependant, prévient SPF, de savoir ce qui relève là de l’augmentation réelle ou de l’amélioration du repérage grâce au « travail de codage » fourni par les cliniciens.
Le tabac, facteur de risque évitable
Certes, le taux de tabagisme avant la grossesse diminue depuis 1995, il est passé de 39 % des futures mères en 1995 à 30 % en 2016. Mais « seulement 50 % des femmes enceintes arrêtent de fumer pendant la grossesse, une tendance qui reste stable. Il faut intervenir plus en amont », constate Nolwenn Regnault. Là encore, la France est la plus mauvaise élève en Europe. Pourtant, le tabac est un facteur de risque majeur de morbidité maternelle et fœtale (faible poids à la naissance, prématurité…), rappelle le rapport, qui relève aussi de fortes disparités entre les régions.
Obésité, autre facteur de risque majeur
L’obésité et le surpoids ne cessent de progresser. La proportion de femmes ayant accouché avec un indice de masse corporelle (IMC, soit le poids en kilos divisé par la taille au carré) normal avant la grossesse a diminué, passant de 68 % en 2003 à 60,8 % en 2016. La proportion de femmes présentant une obésité morbide (IMC supérieur ou égal à 40 kg/m²) est également en augmentation au cours de la période, passant de 0,4 % en 2010 à 0,8 % en 2019 pour la France entière, avec de fortes disparités selon les régions, et encore plus marquées dans les départements et régions d’outre-mer (DROM).
Or, d’après les données de l’étude Epifane de 2012 menée par l’Institut de veille sanitaire et l’université Paris-XIII, les femmes obèses ont trois fois plus de risques que les femmes avec un IMC normal de souffrir de complications sévères, principalement du diabète gestationnel (cinq fois), d’hypertension artérielle (huit fois), recours à la césarienne (1,8 fois).
Les femmes obèses représentent également un cinquième des cas de pré-éclampsie, une maladie de la grossesse qui associe une hypertension artérielle et la présence de protéines dans les urines. Il en résulte aussi des complications chez le fœtus, avec risque accru de mort in utero, de prématurité, d’anomalies congénitales…
Par ailleurs, le taux de diabète gestationnel ne cesse de progresser. Il a même doublé en 2019 par rapport à 2010, de 6,7 % à 13,6 % des accouchements. « Cette hausse s’explique par un changement dans les modalités de dépistage et l’augmentation de la prévalence des facteurs de risque tels l’obésité ou l’âge maternel plus élevé », précise SPF.
« On assiste à un changement du phénotype de la grossesse, avec de plus en plus de profils à risque, notamment l’âge de la mère à l’accouchement qui augmente à 30,2 ans en 2019 [29,3 ans en 2010] », a par ailleurs pointé le gynécologue obstétricien Yves Ville, chef du service de la maternité de l’hôpital Necker, à Paris, lors d’un débat organisé dans le cadre du Festival du Monde, le 18 septembre.
Moins d’épisiotomies
Point positif, le nombre d’épisiotomies a fortement diminué de 2010 à 2019, de 17,7 % à 5,3 %, aussi bien pour les primipares que pour les multipares. En revanche, les déchirures périnéales sévères ont augmenté. Le taux de césarienne reste quant à lui stable depuis une dizaine d’années, concernant un peu plus de 20 % des naissances en France, avec de fortes variations de pratiques entre les établissements, allant de 8,2 % à 46,2 %. Des chiffres à mettre aussi en regard avec le profil des femmes accueillies dans ces maternités.
Situation alarmante en outre-mer
L’intérêt du rapport, outre le tableau national qu’il présente, est de détailler des données à l’échelle territoriale. Or, sur de nombreux indicateurs, les DROM occupent une place à part, avec des résultats moins bons qu’en métropole. Le tableau est particulièrement sombre en Guyane et à Mayotte, même si, dans ce dernier département, bon nombre de données n’ont pu être rassemblées sur toute la période de manière satisfaisante. « La situation dans les DROM nécessite une attention particulière », reconnaissent les autrices du rapport. Une publication consacrée à l’analyse des contextes locaux en outre-mer fera d’ailleurs l’objet d’une parution spécifique dans les mois qui viennent.
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