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lundi 19 septembre 2022

Mode Inclusivité, la lingerie joint l’utile au malléable

par Kim Hullot-Guiot et photo Corinne Mariaud   publié le 9 septembre 2022 

Maillots de bain menstruels, soutien-gorge post-mastectomie, culottes pour les personnes non binaires… Poussées par les confinements et une jeune génération plus exigeante, les marques de sous-vêtements diversifient leurs lignes, tentant de réconcilier confort et glamour.

Quiconque a feuilleté la presse dite féminine cet été a probablement remarqué, de Biba à Cosmopolitan, cette publicité étalée sur deux pages : sur la première, différents mannequins sveltes et souriants portant des maillots de bain Tex (la marque maison de Carrefour). Sur la seconde, l’une des femmes vêtue du même maillot de bain une pièce fleuri, la main gauche y glissant une prothèse mammaire au niveau de son sein droit, coiffée de la mention : «Vous n’avez rien remarqué sur la page précédente, et c’est tant mieux.» Car ce maillot de bain, d’apparence lambda, est destiné aux femmes ayant subi une mastectomie à la suite d’un cancer du sein et n’ayant pas forcément bénéficié d’une reconstruction. Chaque bonnet est agrémenté d’une petite poche intérieure, dans laquelle les baigneuses peuvent, si elles le souhaitent, placer ni vu ni connu une prothèse – sur le même modèle que certains soutiens-gorge rembourrés.

Pour le promouvoir, Carrefour a fait appel à Cynthia Kambou, connue sur les réseaux sociaux sous le nom de Cynthia KA (@by_cynthia_k), où elle partage des recettes de cuisine saine et fait de la prévention contre le cancer du sein, dont elle a été atteinte à l’âge de 31 ans. «J’avais fait une vidéo qui avait bien marché, peut-être que 3 ou 4 millions de personnes l’avaient vu sur TikTok, où j’expliquais comment s’habiller quand on avait qu’un sein, raconte-t-elle. C’est comme ça que Carrefour m’a repérée. Après ma mastectomie, j’avais dû faire faire tous mes vêtements par un couturier. Les maillots et vêtements spécialisés, ça peut coûter cher, plus de 100 euros, et ce n’est pas remboursé.»

Pas qu’un effet d’aubaine

Après son ablation du sein à l’âge de 35 ans, Angélique Lecomte, elle, a créé sa propre gamme de soutiens-gorge, les Monocyclettes, des sous-vêtements délicats et élégants, confectionnés à la commande dans le Luberon, où l’on peut choisir de n’avoir qu’un seul bonnet, à gauche ou à droite, en amazone qui assume son seul sein, ou deux, qu’on accessoirise de prothèses ou pas selon les circonstances. «A ma sortie de l’hôpital, quand j’ai dû aller acheter un soutien-gorge adapté et une prothèse, je me suis rendu compte de la tristesse des produits proposés, c’était des soutiens-gorge qui avaient une connotation très médicalisée, qui étaient vieillots, raconte cette ancienne infirmière. C’était déprimant et je trouvais ça dur après cette épreuve, au-delà de la peur de mourir, de la douleur, de l’ablation qui met à mal la féminité

Ses mono-bonnets sont vendus autour de 60 euros, hors accessoires. Un petit budget, mais bien moins que les modèles à 200 ou 250 euros qu’elle trouvait à l’époque sur Internet, «surtout qu’un arrêt maladie de longue durée a des répercussions financières», rappelle-t-elle. «Pour rester féminine, il faut dépenser des mille et des cents donc c’est bien que Carrefour rende cela accessible», abonde Cynthia Kambou. Le maillot dont elle est l’égérie est vendu 29,99 euros, en une ou deux pièces, et a été mis en vente dans une centaine d’hypermarchés en France, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Pologne et en Roumanie.

Le cancer du sein touchant près d’une femme sur huit, et seulement 30% de celles qui ont subi une mastectomie bénéficiant d’une reconstruction, les enseignes de lingerie comme la grande distribution sont bien avisées d’investir le sujet. Le leader français des sous-vêtements féminins, Etam, a ainsi mis au point, dès 2020, la gamme Yes, des dessous adaptés à cette maladie et ses séquelles. «Il y a différents moments dans la vie, qu’Etam veut accompagner, que ce soit l’achat de son premier soutien-gorge, quand on explore sa sexiness à la Saint-Valentin, quand on achète sa première gaine ou quand on est touchée par cette épreuve… déroule Julie Jamet, directrice marketing et communication de la marque. Il y a cette idée que les femmes qui ont subi une ablation sont vieilles, dépourvues de désir, mais au contraire, elles veulent pouvoir mettre ce qu’elles portaient avant.»

Ce serait une erreur, pourtant, de ne voir là qu’un effet d’aubaine. Depuis quelques années, un changement de paradigme dans le monde de la lingerie semble se dessiner : les maillots et sous-vêtements doivent désormais avant tout servir les femmes – en témoigne notamment le déferlement des culottes menstruelles dans nos placards, au départ porté par des petites marques puis démocratisé par les mastodontes, qui en ont fait chuter le prix (d’une trentaine d’euros la culotte lavable à une petite dizaine d’euros pour les marques distributeur). Un glissement radical, alors que l’on était plutôt habitué, dans la presse mais aussi sur les panneaux des abris de bus ou à la télévision, à des représentations hyper sexy – et très classiques, d’Aubade à Wonderbra, dont on se rappelle le fameux spot avec Eva Herzigova, «Regardez-moi dans les yeux… j’ai dit dans les yeux», ou la pub avec Adriana Karembeu, «I can’t cook. Who cares ?» Ces images faisaient des femmes avant tout des séductrices et de leur lingerie, une arme.

Se libérer du port du corset

Désormais, proposer des sous-vêtements dont la fonction est surtout de servir – ce qui ne signifie pas qu’ils soient moches – semble indispensable. «Le Covid est passé par là, analyse Julie Jamet. Il y a eu un essor énorme de l’envie de confort et du mouvement no bra. En même temps, post-Covid, il y a eu un effet inverse, avec un grand retour de l’envie d’être sexy, du string, du push-up, du body rouge… Mais la notion de confort est restée : les femmes ne font plus de compromis là-dessus.» «La tendance a commencé un peu avant la pandémie, abonde Juliette Benveniste, directrice textile France de Carrefour. C’est un phénomène sous-jacent depuis 2017 ou 2018, mais ça s’est beaucoup accéléré durant le Covid avec l’arrêt du port du soutien-gorge… Les jeunes générations plébiscitent les sous-vêtements plus confortables, la tendance seconde peau.»

Serait-il si loin, le temps où les féministes brûlaient leurs soutiens-gorge, symboles de leur oppression ? Le soutif serait-il devenu leur allié ? Historiquement, l’invention du soutien-gorge répondait déjà à un besoin de praticité. En 1889, à l’occasion de l’exposition universelle, l’ouvrière corsetière Herminie Cadolle, féministe engagée dans la Commune quelques années plus tôt, présentait le «corselet-gorge», rappelait la journaliste de France Culture Barbara Marty dans un article de 2020. Ce vêtement permettait aux femmes, en particulier aux travailleuses, de se libérer du port du corset, qui empêchait de respirer correctement et de se mouvoir à son aise. «Au XVIIIe siècle, dans l’aristocratie, on redressait le corps par un corset pour avoir une certaine prestance, du maintien, rappelle l’historienne de la mode Catherine Ormen. Au XIXe siècle, la bourgeoisie va s’en emparer et le faire entrer dans les mœurs pour dominer le corps de la femme. Le but, c’est de façonner le corps mais aussi de tenir les vêtements, qu’on arrimait au corset. C’est grâce au sport, à la nécessité de bouger, notamment au moment de la Première Guerre mondiale, que la nécessité de simplifier les choses s’impose et que le corset va être abandonné au profit d’autres sous-vêtements.»

A mesure que les femmes ont investi le marché du travail, tout au long du XXe siècle, les maisons historiques telles qu’Aubade, Lejaby ou Chantelle ont simplifié les modèles et multiplié les innovations techniques, avec des corsets adaptés à la pratique sportive et aux activités de plein air, des tricots plus élastiques et souples.«L’invention de la gaine dans les années 30 était assez révolutionnaire, rappelle encore Catherine Ormen. C’était du caoutchouc qui moulait, maintenait le corps avec différentes profondeurs de bonnets. Avant, on gommait sa poitrine pour avoir une silhouette de garçonne car les robes étaient droites.» Au tournant des années 80, la lingerie prend la fonction décorative qu’on lui connaît aujourd’hui : «Elle va se colorer, revisiter le sexy des années 50. On recommence à trouver amusant de porter des bas, raconte Catherine Ormen. Les filles des années 80 ont découvert ce jeu avec la lingerie, c’était l’époque des femmes triomphantes, libérées par la pilule et l’IVG, de la superwoman.»

«Du léger, du sans armature»

Les décennies qui ont suivi ont alterné entre envie de simplicité(less is more) ou au contraire de fantaisie. Aujourd’hui, les notions de confort et d’utilité, d’une part, et celles de séduction et de jeu, d’autre part, semblent enfin se réconcilier. Les culottes menstruelles, au départ plutôt sobres et qui ressemblaient à des bas de maillot de bain, se parent désormais de dentelles et de fanfreluches colorées. «Si vous vous déshabillez, on ne peut plus voir que vous avez vos règles, assure Julie Jamet. Aujourd’hui, il y a une tension entre “on veut de la lingerie sexy, peu importe notre corps, qu’on fasse du 80A ou du 110G,” et “il faut que ça respire”. On a senti une pression de nos clientes pour qu’on aille plus loin dans nos collections : même les femmes qui portent des modèles curvy veulent du léger, du sans armature».

Chez Carrefour, outre les brassières post-mastectomie qui devraient sortir cet hiver (à moins de 17 euros) et les nouveaux modèles de culotte et de maillot de bain menstruels qui sortiront en 2023, on travaille ces temps-ci à des culottes pour les femmes souffrant de fuites urinaires. «C’est encore plus compliqué à mettre au point que les culottes menstruelles, et l’incontinence reste encore taboue, mais on pense qu’il y a une vraie attente sur ce type de produits. On est en train de faire des tests, de mettre au point des matières pour répondre à ce besoin-là», explique Juliette Benveniste. Un marché porteur – qui concerne tant les personnes âgées que celles ayant, au moment d’une grossesse par exemple, des soucis d’incontinence – puisqu’il se vend en France davantage de couches pour adultes que pour bébés.

Du côté d’Etam, qui revendique de vêtir toutes les femmes, cisgenres, transgenres et non-binaires, le travail sur l’inclusivité s’est notamment traduit par le lancement en mars d’une gamme non genrée, par «une culotte avec assez d’espace pour avoir ou non un sexe masculin dedans, et en haut, une brassière qui est aussi jolie qu’elle soit portée avec ou sans poitrine», détaille Julie Jamet. Le sujet restant une niche, l’enseigne s’interroge sur l’opportunité de la pérenniser. «On est encore en réflexion à ce sujet, reconnaît Juliette Benveniste. Les marques spécialisées ont une capacité d’innovation plus forte sur ce segment. Mais c’est juste une question de temps, on y viendra.»


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