par Guillaume Prévost, Délégué général de VersLeHaut, le think tank dédié aux jeunes et à l’éducation
publié le 16 septembre 2022
Dans cette rentrée mouvementée, la grève des assistantes territoriales des écoles maternelles (Atsem), le premier lundi de septembre, est passée trop inaperçue. Car leur mouvement souligne l’épuisement de l’école, les raisons de cet épuisement et les leviers pour en sortir.
Le féminin est de rigueur dans ce métier qui compte plus de 99% de femmes. Si tous les professionnels s’accordent sur leur rôle indispensable, elles ont parcouru un long chemin vers la reconnaissance. Initialement cantonnées à la logistique, des cantines notamment, les «femmes de service» n’ont cessé d’assumer davantage de responsabilités pour répondre aux besoins des enfants et des enseignants. La réforme des rythmes scolaires de 2013 les a propulsées sur le devant de la scène alors que de nombreuses communes étaient bien en mal de mettre en place les activités périscolaires. Et depuis qu’un décret de 2018 a reconnu leur rôle éducatif, l’extension de la scolarité obligatoire à 3 ans continue d’accroître les besoins de recrutement.
Le rôle croissant des assistants d’éducation
L’histoire est tout sauf anecdotique, car comme souvent, c’est à ses discrètes adaptations, apparemment marginales, qu’on reconnaît les dysfonctionnements d’un système. C’est en effet par ces dispositifs supplétifs qu’une organisation pallie ses lacunes, qu’elle «bouche les trous» comme le regrettent les organisations syndicales.
La crise d’attractivité des métiers de l’éducation ne doit pas être réduite à sa seule dimension pécuniaire. Notre système éducatif souffre d’un trop grand isolement des éducateurs face aux élèves, aux familles, à une institution au mieux monolithique pour les enseignants, au pire introuvable pour des éducateurs souvent condamnés aux contrats courts et à la précarité.
Depuis la loi sur l’école inclusive de 2005, les effectifs dédiés à «l’assistance éducative» n’ont cessé d’augmenter : 55 000 Atsem, 120 000 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), 65 000 assistants d’éducations (AED). Au total, 240 000 pour 950 000 enseignants : peut-on raisonnablement continuer à envisager le fonctionnement de l’école en occultant 20% de ses effectifs ?
Le besoin de constituer de véritables équipes éducatives
Cet isolement est bien illustré par la façon dont le débat public appréhende les missions des enseignants. Alors que de nombreuses études et comparaisons internationales soulignent l’importance décisive du travail hors classe, pour se former, échanger avec ses collègues, rencontrer les familles, suivre les élèves en difficulté, les missions des enseignants français restent trop exclusivement définies en fonction des heures passées devant les élèves. Ce regard parcellaire et comptable se poursuit du côté de l’administration, dont la mission consiste essentiellement à allouer des blocs d’heures aux établissements, dans un Tetris infernal qui écrase les personnes et passe largement à côté des besoins réels.
Au bilan, la seule question de la rentrée est : «Y aura-t-il un enseignant devant les élèves ?», comme si l’école n’était au fond qu’une juxtaposition de classes rangées devant leur professeur comme sur les photos de Robert Doisneau.
La façon dont les Atsem se sont rendues indispensables en maternelle souligne le besoin de constituer de véritables équipes éducatives en mesure de s’adapter aux besoins des enfants, de différencier les modalités d’apprentissage pour mieux articuler théorie et pratique, classes et activités, enseignements et projets. La diversité des profils et des parcours est gage d’une école plus attentive à la diversité des talents de ses élèves.
Mieux mobiliser les ressources éducatives locales
Au surplus, le rôle des Atsem, engagées et rémunérées par les communes, montre l’importance pour l’école de mieux s’appuyer sur ses ressources locales, au premier rang desquelles les collectivités. En effet, les mêmes enfants qui sont à l’école entre 8h30 et 16h30, sont également pris en charge entre 16h30 et 19 heures, les mercredis, le week-end et les vacances dans les centres de loisirs, dans les clubs sportifs, dans les associations culturelles et artistiques, largement financées et mises en œuvre par les mairies.
Enfin, en soulignant l’importance du collectif, la grève des Atsem doit nous permettre également de relativiser le débat sur l’autonomie. Que signifie «l’autonomie» pour la moitié des écoles de France, qui comptent moins de cinq classes et ne disposent d’un directeur à plein temps que douze jours par an ? Qui croit que, seul pour assurer le fonctionnement quotidien d’une école, ce directeur va tout d’un coup devenir un puissant chef d’établissement parce que nos députés l’ont souverainement doté d’un pouvoir hiérarchique sur les enseignants ? Sans collectif, sans troupe, sans soutien, l’autonomie ne fera que renforcer les contradictions qui étouffent l’école.
Davantage que les statuts et les missions, il est surtout urgent de renforcer les collectifs dans nos écoles et dans nos collèges pour véritablement donner aux éducateurs les moyens de faire grandir nos enfants. Puisqu’il est actuellement question d’innovation, la constitution de binômes enseignants-éducateurs à l’école élémentaire, sur le modèle des Atsem, serait un premier pas intéressant dans cette direction.
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