par Sandra Onana publié le 20 septembre 2022
D’emblée, les Enfants des autres est affaire de course contre la montre. Prof au lycée, Rachel file dans les couloirs à toute allure, cavale pour ne pas manquer ce cours de guitare où un homme l’attend. Plus tard, quand Ali l’embrasse à pleine bouche sur les marches du métro, son rouge à lèvres bave de partout. Sur cette image d’héroïne moderne, élancée, jonglant entre rôles publics et privés dans un tourbillon de blondeur hollywoodienne, un film commence. Pour la première fois, Rebecca Zlotowski joue avec la tradition du cinéma romantique de grand cru, précis et aérien.
Voire s’acoquine avec la vignette, en laissant la tour Eiffel briller de mille feux et la variété française infiltrer la bande-son. On aurait tort de voir une faute de goût dans le classicisme de la mise en scène. Se souvenant du meilleur du woman’s picture, le film consiste à glisser une vérité de l’expérience féminine – banale, émouvante de modestie – dans la forme qui l’ennoblit. On y verra une femme de 40 ans s’attacher à la petite fille de son compagnon, déjà père, et prendre conscience de la fin prochaine de sa propre fertilité. L’insouciance de l’idylle perd du terrain, rattrapée par le compte à rebours biologique. L’image sainte de la famille recomposée se pare d’amertume.Championnes de la souffrance
Habituellement, le propre d’un mélo est son art d’aller trop loin, en portant les passions et les souffrances à l’excès. Or le pari de Rebecca Zlotowski réside dans l’art du mélodrame raisonnable. Aimante, Rachel apprivoise respectueusement son rôle de belle-mère, sans en outrepasser les règles. La frustration créée par cette expérience de quasi-parentalité, elle la garde le plus souvent sous cape, ravalant sa jalousie avec un sourire déchiré. Le drame de rivalité avec la «vraie mère» (Chiara Mastroianni) s’en trouve déprogrammé : cette hypothèse de scénario n’adviendra pas. Qui d’autre qu’une prof pour apprendre à entrer provisoirement dans la vie «des enfants des autres» et s’effacer avec grâce quand la situation l’exige ? La belle-mère est une bonne joueuse, nous dit le film – et l’orgueil est loin d’être le péché des femmes, dépeintes en championnes de la souffrance polie, nées pour éprouver dans leur corps l’arbitraire d’une date limite.
Collage de larmes et de charme
Rebecca Zlotowski avoue s’être peu à peu défait des carapaces de thèmes virils qui entouraient ses premiers films, comme autant d’alibis d’un cinéma qui cherchait à en imposer : circuits de moto à l’époque de Belle Epine, usine nucléaire dans Grand Central, montée du fascisme dans l’ambitieux Planétarium… Désarmée de l’approche plus cérébrale de ses œuvres précédentes, empruntant à son vécu autobiographique (jusqu’à filmer son propre père, et intégrer des bribes d’histoire familiale), la cinéaste évolue comme chez elle dans ce collage de larmes et de charme.
Ce que l’on retient des Enfants des autres, c’est la nudité de son romantisme et de son désarroi, cette charge émotionnelle au «premier degré», qui lui donne sa dimension vulnérable. Cela se mêle à la grande présence corporelle de son couple de vedettes, d’une sensualité définitive, l’éros en action. En face du grand Roschdy Zem, Virginie Efira est ce génie de sensibilité qu’on n’en finit pas d’aimer. Le film parvient à s’inscrire simultanément dans le temps compté de la fécondité et cheminer dans l’amplitude de la vie «qui reste». Dans le rôle du gynécologue de famille juif, le documentariste Frédérick Wiseman apporte une drôlerie toute mélancolique. Soit le seul alliage avec lequel il est possible de faire dire à un personnage combien la vie est courte et longue à la fois, sans en faire une platitude.
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