Par William Audureau, Samuel Laurent et Damien Leloup Publié le 16 septembre 2022
Soins mystiques, merchandising, coaching et appels aux dons… La nébuleuse de la santé « douce » et ses influenceurs savent multiplier les sources de revenus.
Des promesses fumeuses de guérison contre de la monnaie sonnante et trébuchante. Au cœur d’une polémique au mois d’août après avoir fait la promotion de techniques de « bains dérivatifs » consistant à frotter le sexe de jeunes enfants à l’eau froide, la figure française de la naturopathie, Irène Grosjean, s’est réjouie sur Facebook d’une « véritable opportunité pour faire découvrir au plus grand nombre les bienfaits » de ces pratiques. La nonagénaire propose des stages en ligne au prix de 110 euros.
Depuis la crise due au Covid-19, les discours antiscientifiques, antivax, conspirationnistes, et autres récits new age n’ont jamais semblé aussi bien s’accommoder au sens des affaires. « Il y a souvent une partie commerçante qui va de pair avec les croyances marginales, observe Romy Sauvayre, sociologue des croyances au CNRS. En ce moment, la lithothérapie [une pseudoscience qui consiste à guérir par les pierres] a tellement le vent en poupe que de nombreux sites Internet vendent des pierres faussement guérisseuses. Quand on adhère profondément à une croyance, on peut être prêt à dépenser des fortunes. »
Dans cette galaxie disparate, qui va du front des opposants à la politique sanitaire aux promoteurs de méthodes de soins alternatives, le mélange des genres est courant.
Une apprentie naturopathe, convaincue que la médecine conventionnelle est corrompue par Big Pharma (la concentration du secteur d’activité pharmaceutique), assume ainsi auprès du Monde vouloir choisir son intitulé de métier en fonction des requêtes les plus populaires sur Google. Elle penche pour l’instant pour « éducatrice en santé ». Au risque de s’exposer au délit d’exercice illégal de la médecine, si elle s’aventure à formuler diagnostics et traitements.
Des patients atteints de maladies graves ciblés
Educateur en santé, c’est sous ce terme, ou encore celui de« docteur-normalien », que se présente l’un des piliers du collectif antivax RéinfoCovid, Jérémie Mercier, signalé par l’ordre des médecins auprès de la direction générale de la santé. Il n’hésite pas à qualifier le dépistage du cancer du sein d’« inutile » et sa promotion d’« arnaque ». En complément de ses discours très critiques sur l’industrie pharmaceutique, il propose des formations en ligne mêlant webinaires, livres autoédités et recettes de cuisine entre 100 et 300 euros.
Ce disciple du très controversé Christian Tal Schaller, ancien médecin reconverti dans les discours alternatifs complotistes – et également promoteur des bienfaits de la consommation d’urine, « le plus extraordinaire des remèdes naturels » –, dit s’adresser aux « personnes motivées qui veulent garder ou retrouver la pleine santé ».
Il n’est pas rare que les chantres de la médecine alternative ciblent les personnes atteintes de maladies graves. En 2018, Jérémie Mercier avait mis en place un formulaire de contact pour un projet de formation baptisé « Coaching “cancer-free” ». Parmi les questions : « Qu’est-ce que tu as essayé pour guérir et quels ont été les résultats ? », « Comment vois-tu l’évolution de ton cancer dans le cas idéal ? » et « As-tu les ressources financières pour investir en toi et pour ta santé ? ». Dix-sept personnes auraient répondu, dont sept auraient été recontactées, sans suite, assure l’intéressé au Monde, évoquant une simple « expérimentation relative à un service potentiel en 2018. »
Cette façon de procéder interpelle Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l’Université de Paris et spécialiste des communautés marginales : « Il y a une recherche d’une audience vulnérable, car c’est la plus à même d’ouvrir son portefeuille. Ce qui est terrible, car c’est assécher les plus faibles », estime-t-il. Lors d’une audition devant le Sénat, en 2012, une association de lutte contre les dérives thérapeutiques, le Groupe d’études des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu, évoquait le cas d’une femme morte du cancer après avoir préféré dépenser 5 000 euros dans un lit de cristal plutôt que de suivre un traitement conventionnel.
Offres de placements et formations en trading
Multiplication des cabinets de lithothérapie, de reiki, ou encore de naturopathie, arrivée de pseudoprofessionnels de la santé sur Doctolib… L’essor des offres liées au « bien-être » n’est que la partie la plus visible d’un vaste marché des croyances marginales. Celles-ci n’ont pas seulement trait à la santé physique et mentale, mais également à la santé financière.
Ainsi, des sites défendent l’idée d’un complot mondial des grandes banques et des milieux de la finance ou surfent sur l’idée d’un effondrement à venir de l’économie et développent, en parallèle, des offres de placements financiers et des formations en trading. Le média conspirationniste Planètes360 met ainsi en avant plusieurs « formations » de conseil en placement, pour inciter ses lecteurs à investir dans différents portefeuilles, présentés comme plus sûrs que l’économie classique ; l’une d’elles propose, pour 160 euros, l’accès à un « plan de sécurité financière pour les cinquante années à venir ».
Planètes360 promeut aussi des investissements autour de l’or, présenté comme la seule véritable valeur refuge – une idée très populaire, depuis des décennies, dans les sphères complotistes et d’ultradroite américaines, qui considèrent l’abandon de l’étalon-or par les Etats-Unis en 1933 comme une catastrophe, voire un complot.
Des appels directs au don
Profitant d’un public surmotivé, les productions complotistes excellent à monétiser leur audience, parfois directement en dons. Le documentaire conspirationniste de Pierre Barnérias Hold-upavait ainsi collecté une somme avoisinant les 300 000 euros sur les plates-formes de financement participatif. « Des projets de documentaires provax n’ont pas levé le quart du centième de ce qu’a levé Hold-up ! », se désespère Tristan Mendès France. Contrairement à d’autres structures qui touchent des dons réguliers, ces montants n’ont correspondu qu’à une « action ponctuelle », tempère l’association Sleeping Giants, qui lutte contre le financement des médias complotistes et haineux.
L’ancien journal populaire devenu porte-voix des antivax, France-Soir, a ainsi engrangé 40 000 euros de dons en août 2021, et 200 000 euros en septembre 2021, avant que les montants collectés ne cessent d’être publics. De combien sont-ils aujourd’hui ? Interrogé, le directeur de la publication, Xavier Azalbert, récuse le qualificatif de média complotiste, et renvoie à l’existence d’une procédure qu’il a intentée contre Le Monde pour « dénigrement ». Son site continue de faire appel aux dons de soutien pour financer sa « recherche de la vérité », en soulignant qu’ils sont en partie défiscalisés.
Le recours aux dons est, aussi, une manière de contourner la chute des revenus publicitaires. Selon une analyse du Global Disinformation Index, le chiffre d’affaires des vingt mille plus gros sites de désinformation américains s’élevait, en 2019, à 235 millions de dollars (235 millions d’euros). Depuis, le robinet a été en partie coupé. En 2021, Google a restreint l’accès à ses outils de publicité en ligne à 1,7 milliard de pages d’éditeurs de sites jugés problématiques, dont France-Soir, qui a perdu début septembreson procès contre la plate-forme. D’autres entreprises sont cependant moins regardantes. Des plates-formes de recommandations de liens, comme Outbrain – également présentes sur le site du Monde –, continuent d’offrir leurs services à France-Soir.
« Je ne fais pas ça pour l’argent »
Plusieurs activistes ont aussi été frappés au portefeuille. Léonard Sojli, qui, à travers la chaîne des DéQodeurs, a été l’un des principaux exportateurs des théories QAnon en France, a été confronté début septembre à la fermeture du compte PayPal de son site – soit une baisse immédiate de 40 % de rentrées financières. « Je ne fais pas ça pour l’argent. Je préfère finir dans la rue et manger des cailloux, mais je n’arrêterai pas », jure-t-il.
Pour l’instant, M. Sojli compose avec un butin de quelques milliers d’euros de dons par mois, qui, détaille-t-il, lui servent à payer le serveur informatique (ils ont été chassés de la plupart des plates-formes d’hébergement), un webmaster, un traducteur, dépanner ponctuellement des membres de la communauté, et payer ses propres factures. Il ne lui resterait que quelques centaines d’euros par mois, de quoi « survivre », assure-t-il.
Mise à jour le 16 septembre 2022 à 13 h 35 : correction de la date à laquelle l’étalon-or a été abandonné par les Etats-Unis.
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