S’il est interdit de cacher complètement son visage dans l’espace public (au risque de devoir payer une amende de 150 euros), sur les réseaux sociaux, le port de la cagoule en version intégrale est en passe de trouver son public. Se masquer outrancièrement le visage dans des posts et autres stories – ce qui a des airs d’oxymore on vous l’accorde – sur TikTok ou Instagram apparaît comme un signe extérieur de rébellion et pourrait être le pendant mode d’un autre accessoire porté depuis deux ans : le masque.
Connotation guerrière
La tendance, aussi visible sur les podiums des défilés féminin et masculin ces derniers mois, devrait sauter aux yeux du grand public dès les premiers frémissements de l’automne. On en a repéré de multiples sortes, façon vieille école avec le visage découvert ou plus hostile avec seulement trois trous pour les yeux et la bouche. Des marques de skate comme Palace ou Supreme en proposent chaque hiver, des maisons du prêt-à-porter de luxe s’y mettent comme Miu Miu, Rick Owens, Martin Margiela, Marine Serre, Loewe ou Paco Rabanne. Drew, la marque de Justin Bieber fortement inspirée de l’esthétique années 90, a récemment mis en vente un modèle jaune et noir, tout droit sorti de Spring Breakers, film d’Harmony Korine sorti en 2012 qui voulait érotiser les délinquantes juvéniles porteuses de cagoules rose flashy affublées d’une licorne qu’il avait choisies pour héroïnes. C’était l’époque où les militantes féministes russes de Pussy Riot s’étaient fait connaître pour leurs actions chocs dans des églises – et condamnées pour cela en 2012 – et leurs cagoules tricotées et colorées, pièces maîtresses de leur look punk.
Déclarer que la cagoule, ou «balaclava» comme les Anglo-Saxons ont l’habitude de l’appeler, s’apprête à être l’un des accessoires de l’automne-hiver 2022 fera probablement frémir l’antimilitariste qui sommeille en vous. La connotation guerrière vient de ses origines elles-mêmes, qui font cruellement écho à la géopolitique : Balaklava est le nom d’un village de Crimée, aujourd’hui quartier de Sébastopol, cité des bords de la mer Noire où une autre guerre de Crimée fit rage au XIXe siècle. Pendant ce conflit, les pionnières anglaises des soins infirmiers parties soutenir leurs troupes appelèrent les familles des soldats britanniques à fabriquer des vêtements chauds, et notamment des bonnets et des cagoules, et à leur envoyer leurs laines ainsi que de la nourriture pour les aider à tenir bon. Tricoter pour les soldats est devenu, au cours des deux guerres mondiales, une activité en vogue dans les foyers anglais, où les femmes étaient vivement invitées – par la presse et des institutions comme la Croix-Rouge – à participer à l’effort de guerre en confectionnant des vêtements et des cagoules à leur frère, époux, amis, voisins.
Aura sulfureuse
La cagoule est passée dans le civil, utilisée par les ouvriers des usines pour se protéger des conditions extrêmes, popularisée par les pilotes de course qui cherchent à protéger leur visage de la chaleur. Elle est aussi devenue un élément clé du monde délinquant qui l’apprécie pour l’anonymat qu’elle procure, à commencer par les braqueurs de banques et autres bijouteries, tout comme les brigades révolutionnaires appelant à la lutte armée à l’image des indépendantistes irlandais, corses ou basques. Le retour sur le devant de la scène de la cagoule a probablement aussi à voir avec cette aura sulfureuse, et l’allure frondeuse qu’elle donne à qui la porte.
L’accessoire, porté depuis quelques années par une flopée d’excentriques en Chine pour se protéger du soleil – on le nomme alors «facekini» – est le plus souvent tricoté sur le continent européen où quelques amateurs de ski l’appellent encore passe-montagne. Même le champion de Formule 1 – et homme de mode – Lewis Hamilton s’est amusé à en arborer une en laine rose ornée de marguerites en marge du Grand Prix de Spa en Belgique le week-end dernier. Les journaux anglais se sont moqués en clamant que le sportif s’était mis un couvre-théière sur la tête. La cagoule appartient à deux mondes : elle fait à la fois partie de cet univers du vestiaire doudou, qui donne l’impression d’être protégé des agressions extérieures, et à l’inverse de flirter avec le transgressif. Qu’on ne s’y trompe pas : la cagoule est un faux ami des grands timides qui aimeraient passer inaperçus en l’arborant, car elle attire l’œil et, préparez-vous, le quolibet.
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