par Eric Favereau publié le 13 septembre 2022
Début septembre, les médias se sont emballés sur un sujet de taille : un traitement contre la trisomie. «Le premier traitement permettant de restaurer les fonctions cognitives des personnes porteuses de trisomie 21 vient d’être mis au point par une équipe franco-suisse», affirmait ainsi le magazine Sciences et Avenir, décrivant une étude parue dans la prestigieuse revue Science.
Serait-il enfin possible de corriger une anomalie génétique ? Si cette étude est passionnante, elle est à prendre avec précautions. La trisomie 21, ou syndrome de Down, concerne environ une naissance sur 800, se traduisant par un éventail de manifestations cliniques variées, plus ou moins intenses, parmi lesquelles un déclin des capacités cognitives. Aujourd’hui, le nombre de naissances d’enfants trisomiques a énormément chuté. Avec 2 370 cas par an, on enregistre seulement 530 nouveau-nés vivants porteurs de ce handicap, en raison d’un dépistage prénatal systématique, avec un test sérique accompagné de mesures échographiques dès le premier trimestre de la grossesse, «dispositif proposé à toute femme enceinte, quel que soit son âge».
Améliorer les performances cognitives
En vieillissant, 77 % des personnes atteintes de trisomie 21 connaîtront des symptômes proches de ceux de la maladie d’Alzheimer. Peut-on les atténuer ? Des travaux récents ont suggéré que les neurones exprimant l’hormone GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone, connue pour réguler la reproduction) pourraient avoir une action dans d’autres régions du cerveau avec un rôle potentiel sur d’autres systèmes, tels que celui de la cognition. «C’est pour cela que nous avons travaillé dessus et étudié le mécanisme de régulation de la GnRH sur des souris modèles de la trisomie 21», nous a expliqué Vincent Prévot, directeur du laboratoire neuroscience et cognition de l’Inserm, qui a dirigé l’étude avec le Centre hospitalier universitaire vaudois de Lausanne. «Les données pré-cliniques sur la souris se sont révélées très convaincantes. Et c’est là que nous avons eu beaucoup de chance, car on a pu transposer directement de la souris à l’homme. Ce traitement avait été déjà testé chez l’homme sur la fonction de la reproduction, on savait que cela marchait, et surtout, depuis trente ans, on savait que c’était sans effets secondaires et sans danger pour le patient.»
Il était donc possible de passer très vite à un essai sans risque sur l’homme, afin de voir si ce traitement pouvait améliorer, comme chez la souris, les performances cognitives du patient. Un essai pilote a donc été lancé sur sept patients porteurs de trisomie 21. Agés de 20 à 50 ans, ils ont reçu une dose de GnRH toutes les deux heures par voie sous-cutanée pendant six mois, à l’aide d’une pompe placée sur le bras. «Au départ, on leur avait fait passer des tests de cognition, nous raconte Vincent Prevot. Par exemple, on demandait, de dessiner des cubes en trois dimensions ; après ils dessinaient un lit. On leur demandait de connecter des points entre eux, de reconnaître des lettre ou des mots dans des phrases. On mesurait aussi le degré d’attention sachant que les trisomiques ont des difficultés sur ce point. Et parallèlement, nous faisions des IRM pour évaluer la présence de cette hormone.»
Consentement libre et éclairé
Les résultats, certes préliminaires et limités à ces sept patients, ont été convaincants. «D’un point de vue clinique, les performances cognitives ont augmenté chez six des sept patients : meilleure représentation tridimensionnelle, meilleure compréhension des consignes, amélioration du raisonnement, de l’attention et de la mémoire épisodique, détaille Vincent Prévot. Et les résultats étaient positifs, quelle que soit l’intensité du handicap. En revanche, le traitement n’a pas eu d’impact sur l’olfaction. Et cela se notait aussi par imagerie cérébrale. Bref, l’ensemble suggère que le traitement agit sur le cerveau en renforçant notamment la communication entre certaines régions du cortex.»
Bonne nouvelle. Mais qu’en déduire ? N’y a-t-il pas des biais psychologiques inévitables, car mesurer des améliorations cognitives est hasardeux ? Et surtout quelle suite y donner ? D’autant que dans ces essais se pose la question du consentement. En recherche clinique, le consentement libre et éclairé est la base de toute démarche. Or, dans ce cas précis, ce consentement est difficile, voire impossible, à recueillir et c’est donc le tuteur qui donne ou pas son accord. «Tout est réglementé, mais ce n’est pas simple, car bon nombre de familles ont peur que leur enfant soit pris comme un cobaye», note le chercheur. Bizarrement, dans ce genre d’études, on ne donne pas la parole aux premiers intéressés : ils ont pourtant peut-être des choses à dire. Ont-ils senti, par exemple, des changements ? Même handicapés, leur parole aurait de la force. L’étude n’en rend pas compte.
Vu ces encourageants premiers résultats, une étude en double aveugle (technique utilisée en recherche afin d’éviter que la personne malade, le médecin et le personnel soignant ne soient influencés par une opinion qu’ils pourraient avoir vis-à-vis de tel ou tel médicament) va être lancée en octobre sur 60 patients, hommes et femmes. «Tout est en place, mais le recrutement est difficile, il nous faut au moins 300 patients pour pouvoir ensuite en garder 60. Ce n’est pas simple, lâche Vincent Prévot. Ensuite, si on valide le traitement, il sera tout de suite applicable. Mais rien n’est encore certain.»
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